19 avril 2024

Expérience Tunick et Randonnue à Bruges centre ville

Vendredi 6 mai 2005, Bruxelles.
Il est 16 heures et je quitte mon bureau. C’est rare, mais nous sommes à la veille de l’installation du photographe américain Spencer Tunick à Bruges ! J’ai un train à prendre !
A Bruges, je rejoins un groupe d’amis constitués par Internet pour l’occasion. Je ne les ai jamais vus, mais nous avons rendez-vous à l’hôtel BAUHAUS. En fait d’hôtel, il s’agit d’une auberge de jeunesse qui se targue d’être la moins chère de Bruges. Première surprise : aucune de nos réservations n’est enregistrée ! Cela ne tracasse pas du tout l’aubergiste. Nous lui expliquons que nous souhaiterions une chambre commune, car nous devrons nous lever vers 3 heures du matin. Il nous répond qu’il n’y a pas de problème à faire du bruit à 3h, que c’est même le principe d’une auberge de jeunesse !

Au final, il nous promet de nous regrouper dans une chambre. L’équipe, composée de parisiens, de français du Nord, de liégeois et de bruxellois, s’en va au restaurant. De retour à l’hôtel, on s’aperçoit que l’on a tous oublié de prendre un pyjama. L’ambiance sera donc naturiste dans la chambre. Vers 10 heures nous prenons possession de notre dortoir de 10 places avec la noble intention de nous coucher tôt et de dormir jusqu’à 2h15 du matin. Erreur ! Nous venons de comprendre pourquoi les aubergistes font du surbooking. Le bruit du bar est extrêmement présent et dans les autres chambres : Personne !
A 2h15 du matin, nous nous levons et nous nous habillons, bien que certains d’entre nous auraient bien tenté l’expérience de partir nu (avec comme toute concession un pagne), mais le froid et la perspective de devoir attendre minimum 2 heures les dissuadent. Seules une ou deux personnes ont vraiment dormi, les ronflements nombreux et bruyants l’ayant attesté ! A cette heure matinale le bar est toujours aussi bruyant et plein, et les autres chambres toujours aussi vides !
Après une marche de 15 minutes dans le vieux Bruges sous un froid présent (maxi 8°), nous arrivons au point de rendez-vous. Plus nous progressons vers le point de convergence, plus le flot devient visible. Même si Bruges à cette heure est très animée, les rues sont pleines de jeunes, les restaurants sont encore ouverts, les taxis attendent toujours les clients. Devant le théâtre Royal de Bruges, nouvellement restauré, on nous explique, après une première demi-heure d’attente, que la première installation ne pourra compter que 700 personnes, qui du reste sont déjà presque toutes entrées. Nous sommes déçus.

Le début d’une longue attente commence. D’après les organisateurs nous étions 3 000 inscrits et nous sommes fort nombreux devant ce théâtre. Nous devons aller remettre nos feuilles d’inscription aux organisateurs à l’entrée du théâtre et nous nous voyons distribuer un grand sac plastique transparent afin d’y mettre nos vêtements le moment venu. Cette petite procédure prendra bien une bonne heure, entassés dans cette foule compacte qui à le mérite de réchauffer l’atmosphère physiquement et mentalement. L’ambiance est bon enfant, les gens de tous ages et de tous types ont l’air heureux. Il y a des jeunes, des vieux, des entre les deux (comme moi) des hommes, des femmes, des couples, des groupes d’amis, des isolés. Seuls manquent à l’appel les enfants. L’heure si matinale et la perspective d’attendre dans le froid en sont sans doute les raisons.
On attend…
Les maigres instructions sont données par une femme sans voix et uniquement en flamand. Heureusement, de nombreux bilingues sont autour de nous et se précipitent à notre secours en nous traduisant les propos. Quant à son tour Spencer Tunick intervient, il le fait en anglais et lorsque la traductrice commence à parler en flamand un fou rire s’échappe de la foule. La plupart des Flamands comprennent l’anglais et n’ont donc pas besoin de cette traduction qui est presque inaudible.
La pluie se met à tomber ! Nous attendons toujours…
La foule se disperse un peu afin de trouver autour de la petite place quelques coins pour s’abriter. Personne n’ose s’éloigner de trop, nous attendons les instructions et il n’est pas question de manquer l’évènement.
Après 2 heures d’attente, les premières défections se remarquent. Il est 5h, il pleut toujours, de plus en plus fort, la température est basse et nous sommes trempés. Régulièrement, on nous tient en haleine par de bref message d’info :
– « Il faut encore attendre »,
– « La séance photo dans le théâtre est plus longue que prévu »
– « Dans une demi-heure, on vous précisera les choses »…
Le temps s’écoule, de brèves infos chaque demi-heure.
Nous sommes mouillés, transis.
Notre patience commence à faiblir, allons nous abandonner ? La question se pose de plus en plus. Daniel et moi allons boire un coca glacé dans un café à coté, toujours ouvert. Nous aurions préféré un café, mais ce n’est pas le genre de la maison. Nous rencontrons d’autres sacs plastiques transparents. Nous savons donc ce que ces gens font là. On fait partie de la même équipe de doux dingues.

Vers 6h je crois, on nous dit que le photographe a besoin de plus de lumière, il faut donc attendre encore. Le jour a du mal à se lever et nous du mal à rester. Allons nous tenir jusqu’au bout ? Nous sommes surpris de notre propre résistance, de notre propre persévérance. Un mouvement de foule se crée, on suit le mouvement sans comprendre. On remonte la Vlamingstraat vers le Markt et on tourne à gauche vers la place de l’Hôtel de Ville. En apercevant la tente installée sur cette place, je m’écrie : « C’est ici que l’on va se déshabiller ». Et non, on nous “offre”, moyennant finances, un gobelet de café et un croissant sous cette tente ouverte à tous les vents. Ce petit déplacement, nous réchauffe, brise la monotonie de l’attente. On sent le moment approcher. Il se met encore une fois à pleuvoir. Je suis un des seuls à avoir de l’argent pour le café et c’est ici que l’on retrouve Christian. Il nous raconte qu’il est parvenu à entrer dans le théâtre pour faire la première série de photos. C’est là que Daniel décide de le surnommer “Petit Futé”.

Vers 6h30, nous retournons devant le théâtre et là le groupe d’au moins 2 000 rescapés se met à bouger. Nous contournons le théâtre et nous nous retrouvons tous entassés dans une petite rue bordée d’hôtels : la Niklaas Desparsstraat. L’excitation de la foule est palpable. A chaque apparition d’un visage à une fenêtre d’une chambre d’hôtel, la foule hurle. Les visages disparaissent promptement derrière les rideaux. La foule est déchaînée. Le moment est proche nous pouvons tous voir que la lumière est plus forte, le ciel plus léger et il ne pleut plus.
Puis soudain, le ciel s’assombrit, la pluie refait son apparition. Nous devons encore attendre. Certains s’impatientent, deux jeunes filles passent dans la foule en peignoir d’hôtel blanc, leurs vêtements dans le sac. Christian, se déshabille. Puis enfin la pluie s’arrête et c’est l’apparition de Spencer Tunick. Il dit ne pas en revenir de notre détermination. Il s’attendait à une plus forte défection dans les rangs. A tel point que je me demande même s’il ne le souhaitait pas. Il précise d’ailleurs qu’il n’a jamais fait de photo sous la pluie.
Il nous donne le départ. Un énorme cri de joie est poussé par la foule et en un éclair la foule est nue. Les gens rient, se sourient, se parlent, les fenêtres des hôtels s’ouvrent, les appareils photos des touristes crépitent. Voilà les premières photos, pas très officielles, ont été prises !
Je redoute autant que je le souhaite ce déshabillage. J’ai froid, je suis mouillé, tous mes vêtements sont trempés. Mes baskets ne sont qu’eau. J’ai peur d’avoir trop froid. Et les pieds : pieds nus sur les pavés détrempés, marcher nu sous la pluie dans les flaques d’eau après avoir attendu de 3h à 7h soit 4 heures dans ce froid humide : Est-ce raisonnable ? J’ai peur de geler sur place. Pas le temps de réfléchir, pas envie d’être le dernier à être nu. J’ai ma fierté ! Et là… miracle !

Eh oui, miracle ! Je n’ai plus froid. Finis les vêtements froids et humides sur ma peau. Les pieds ressentent l’eau qui ruisselle sur les pavés mais elle ne reste plus autour de mes pieds à cause des chaussettes et baskets imbibés. Je marche, nu dans la rue, je tourne le coin. Je suis salué, comme tous, par des photographes de presse agglutinés derrière des barrières, je les salue. Je poursuis mon chemin. On nous demande de s’étendre le long de la rue Vlamingstraat jusqu’au beffroi place du Markt, mais la plupart des participants restent au pied de Spencer Tunick. Je me fraye un chemin parmi ces gens nus, je marche, je cours, je saute. Je me sens envahi d’un énorme sentiment de liberté. Les boulangers derrière leur rideau de fer nous regardent surpris, puis dubitatifs, enfin curieux. Je vais jusqu’au bout de la rue, les participants se font de plus en plus rares. Au coin de la place, des policiers nous regardent envahir la place avec bienveillance. Ils sont là pour éviter que des gens habillés s’immiscent dans notre groupe. Le monde à l’envers, mais qui devrait être l’endroit !

Je cours, je saute, je marche, je me promène. Je vais jusqu’au pied du Beffroi, je fais le tour de la place. Au fond à droite de la place il n’y a plus beaucoup de monde sauf quelques badauds surpris de la scène qui se déroule sous leurs yeux.

Je fais demi-tour, je retourne vers la rue pleine de personnes nues. Certains grelottent, d’autres ont l’air surpris, la plupart rient. On suit les instructions : Tous de dos ! On attend, des ordres sont donnés, je ne les comprends pas. Je reste droit, debout, nu, de dos, j’attends.
Encore un ordre, je ne le comprends pas, j’entends du bruit derrière moi, les gens s’accroupissent. Je fais de même. On attend. C’est fini. Un énorme cri de joie retentit, toute la foule applaudit. Les gens explosent de joie. On peut aller se rhabiller ! Les premières personnes retournent dans la rue couverte des 2 000 sacs plastique contenant les vêtements.

Je veux profiter encore de ce moment magique. Etre nu, en ville. Je retourne vers la place, Daniel, que j’avais perdu de vue, me rejoint. Les policiers rigolent. La place n’est plus accessible. Nous redescendons la rue commerçante pour rejoindre nos vêtements. Nous saluons et applaudissons Spencer Tunick puis saluons une dernière fois les photographes de presse. Une bonne partie des participants sont déjà rhabillés. Je prends mon appareil photo et fais une photo de Daniel, Daniel me prend en photo à son tour. Je suis bien, je n’ai pas froid, je suis heureux. Une annonce demande aux femmes de se diriger vers la prochaine installation. Christian et moi sommes toujours nus. On hésite. Sac à la main je ne sais quoi faire. Je cherche quelque chose pour cacher ma nudité, vieux réflexe conditionné, mais je ne veux pas me rhabiller. Une dame comprend mon embarras, elle me tend une serviette éponge. Je ne sais dans quelle langue. J’accepte son offre et je la porte en pagne. Christian avait prévu son pagne.

Nous voilà partis dans la foule habillée. Nous retournons au Markt. Après avoir marché 100 mètres, nous estimons que le pagne est superflu, nous continuons donc nus dans cette foule jusque devant l’hôtel de ville. Plusieurs policiers nous croisent, nous regardent à peine. Là, il y a un barrage, seules les femmes peuvent passer. Il sera difficile de se faire passer pour des femmes. Une personne, manifestement un participant, nous demande de nous rhabiller, tous les autres se marrent. Nous n’obtempérons pas.

Nous retournons sur la place (le Markt), de nouveau nous croisons des policiers. Nous décidons Daniel (habillé), Christian (nu) et moi (nu) de retourner à l’hôtel. Nous prenons une petite rue Philipstockstraat, rue très commerçante puis Mallebergsplaats ensuite Hoogstraat (grand rue).
J’ai un sentiment de liberté intense. Je suis ébahi de la « machine » corps humain. Je n’ai pas froid. Il est au alentour de 8h, samedi matin 7 mai, je suis à Bruges, dans le vieux Bruges, dans les rues commerçantes de Bruges nu avec des amis et nous retournons à l’hôtel le plus naturellement du monde.

Les rues ne sont pas désertes. Nous croisons les matinaux. Ils sourient, ne nous regardent presque pas, aucun ne semble choqué. Une personne dans sa voiture klaxonne, il a un large sourire. Un ami, que j’ai croisé plusieurs fois à l’Océade notamment, qui a participé aux photos passe en voiture, nous dit que nous sommes fous. Il rit.

Daniel, euphorique, est heureux. Il regrette de s’être rhabillé. Il nous prend en photo afin d’immortaliser cette randonnue d’un genre si particulier.
Nous passons devant des boulangeries ouvertes, nous passons un pont au-dessus des canaux, nous arrivons Langesstraat. Comme son nom l’indique cette rue est longue. Tiens, le restaurant où nous avons soupé hier soir. Il nous faut une photo. Le propriétaire est en train de faire le ménage. Nous prenons la pose. Encore une photo.

Une camionnette de policiers nous croise. C’est un non-événement. Aucune réaction !
Nous remontons la rue, d’autres boulangeries, d’autres passants, des vélos, des voitures.
Aucune réaction négative. Presque aucune réaction. Manifestement nous ne faisons pas peur. Je suis content: cela prouve bien, et j’en étais déjà convaincu, que la nudité en soi n’est pas une agression. Nous croisons un jeune homme qui sort d’un bar, il traverse vers nous, nous parle, il a l’air heureux et éméché et heureux de nous voir si heureux.
Nous arrivons enfin au 137 de la rue, après avoir marché plus d’un kilomètre dans le vieux Bruges, nous voici devant notre hôtel. Séance photos. Nous frappons à la porte du bar afin de demander notre clé. La jeune fille nous ouvre, l’air surpris de nous voir torse nu cette froide et humide matinée. En ouvrant la porte, elle voit que nous sommes nus. Elle referme à demi la porte nous demande ce que nous voulons. Elle n’a pas peur, elle ne souhaite pas voir d’homme nu, c’est tout.
Elle retourne au bar chercher notre clé, revient à la porte en nous signalant que quelqu’un est déjà dans la chambre et que nous pouvons monter. Nous montons.
Arrivés dans la chambre, notre arrivée et notre excitation réveillent les membres de notre groupe qui avaient abandonné, fatigués et déçus de devoir attendre autant. Nous racontons nos expériences.
Eric et Dolorès nous rejoignent une bonne demi-heure après. Dolorès a fait la dernière installation réservée aux femmes à bord des bateaux sous une pluie battante. Tout le monde prend une bonne douche chaude et nous essayons de dormir. L’excitation est trop forte, nous avons juste un peu somnolé. Vers 9h30, nous allons petit-déjeuner. Il faut donc s’habiller. On hésite. Un pagne serait-il suffisant ? Nous remettons à regret nos vêtements mouillés. Le froid se fait de nouveau sentir.

Vers 10h30, le groupe se sépare sur des souvenirs inoubliables. Je reprends le train de 11h pour Bruxelles, pour tout raconter à ma femme, non naturiste, qui est restée à la maison. Elle nous prend pour des fous. A-t-elle raison ? J’en doute !

Le récit au format pdf avec d’autres photos

Jérome Jolibois

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DanielNature
14 mai 2005 23h02

Mille bravos pour ton récit Jérôme.
Encore plus complêt que le mien.
On devrait essayer de s’associer pour faire les prochains, comme cela on porrait échanger nos idées.
Amitiés
Daniel

Ed Kellett
20 mai 2005 14h19

L’installation suivante (11 juillet) de Spencer Tunick (en Europe) se trouve sur http://www.balticprojects.org/tunick !

Vincent

tigrou172
6 juin 2005 11h06

coucou!
J’étais aussi à cette manifestation! c’était super! dommage pour le temps! mais bon…
Expérience unique et à faire!!!!!!!!!!!!!!!!!

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