2 décembre 2024

Chronique d’une Naissance (2ème Partie)

Pour les « Naturistes de Provence » l’année 1930 sera celle de la création du centre gymnique de l’Ile du Frioul dont l’expansion et la renommée dépassèrent rapidement les espérances de Kienné de Mongeot et contribuèrent à faire de Marseille un foyer vivant de culture naturiste.

Pour nous aider à comprendre le chemin parcouru depuis 1927, il nous faut maintenant rendre hommage au courage et à la ténacité de deux figures locales des Naturistes de Provence: l’ancien officier de marine Dudley Ellis et le Professeur Géo Beltrami. Tous deux se montrèrent particulièrement dynamiques autant pour faire connaître le naturisme au plus grand nombre que pour le défendre contre les campagnes anti nudistes qui ne manquèrent pas de commencer à se manifester dans la presse locale.

Dudley Ellis, secrétaire des Naturistes de Provence, devint naturellement le correspondant de Vivre, il était par ailleurs sans doute prédisposé pour la propagande car il possédait une agence de publicité au 7 de la rue Paradis à Marseille, adresse qui deviendra par ailleurs le siège de l’association. La première fois que Vivre lui ouvre ses colonnes dans le n°55 du 15 octobre 1929, c’est parce que, piqué au vif par un journaliste sportif, il venait de répliquer vigoureusement mais non sans humour dans la presse marseillaise:


A mon confrère Maurice Pourchier, rédacteur aux « Sports de Provence » 

Mon cher confrère,
Puisque vous repiquez au truc, permettez-moi, à mon tour, de vous répondre une fois encore, car il ne faut tout de même pas ennuyer nos lecteurs par une question qui ne touche aux sports que partiellement. Avant toute chose, laissez-moi espérer que vous me prendrez un abonnement à Vivre, car cela vous permettra de mieux suivre le mouvement naturiste qui a l’air de vous intéresser, puis cela fera plaisir à mon Directeur, et vous ferez ainsi un geste de bonne confraternité à mon égard(…) Je ne voudrais pas froisser la susceptibilité des lecteurs catholiques de Vivre, mais personnellement vous me permettrez de mettre en doute l’histoire d’Adam et Eve au paradis terrestre car l’origine de la terre remonte à une date fort ancienne et si nous comparons les différents textes de l’histoire sainte, la venue de notre premier père est assez récente, or des traces des premiers occupants de la terre remonte à un nombre d’années considérable avant. Les Néo-Nudistes européens, comme vous les appelez, ne prétendant nullement placer leur bannière sous l’égide des sports ou des sportifs.

Quant au livre de Royer (Au pays des hommes nus, ndlr), que ceux qui me lisent me pardonnent pour la publicité faite à mon confrère, mais l’éminente critique d’Albéric Cahuet dans l’Illustration est suffisamment éloquente pour ne pas en écrire davantage. Si les naturistes pratiquent la vie nue en plein air, c’est uniquement par raison de santé.

Que les adeptes de cette mode m’excusent mais d’après certaines photos, ils en ont bien besoin. Que de vilains corps on voit. Je vous assure, mon cher Confrère, qu’il ne vous viendra aucun désir aphrodisiaque de contempler les naturistes et d’ailleurs, je ne crois pas que les sens soient éveillés en commun. L’histoire que vous dites de nos premiers parents ne va pas à l’appui de ce qui précède. Mais les naturistes ne vous demandent rien que je sache et ils vous laissent en paix ; d’ailleurs, pour pénétrer jusqu’à eux, il faut beaucoup de formalités, et si un loup s’avisait d’entrer dans la bergerie, contrairement au proverbe, il serait mangé (…).

Dudley Ellis sera surtout un témoin remarquable de l’expansion du mouvement, écrivant de nombreux articles et plaidoyers, réalisant de nombreuses photos qui étaient publiées dans la presse naturiste internationale ainsi que plusieurs films aujourd’hui perdus qu’il projetait lors de réunions et conférences.
Quant au Professeur Beltrami qui plus tard devint membre du Comité d’Honneur de la FFN, il donnait lui aussi très régulièrement à Marseille des conférences comme celle que nous rapporte Vivre dans son n°66 du 1er avril 1930 :

Devant une salle archicomble, rue François-Moisson, débordante d’un public sympathique, M. le professeur Beltrami faisait une conférence sur le naturisme, son évolution, qui fut un véritable régal pour l’auditoire. M. Bontoux, adjoint des Beaux-Arts et de l’Instruction publique, qui présidait la séance présenta l’érudit conférencier et sut, dans une envolée d’une haute tenue littéraire, rendre hommage au peuple qui veut s’instruire et à ceux qui en prennent l’initiative. Une représentation artistique organisée par Mlle Henriette Sausse, le distingué professeur de déclamation du Conservatoire, obtint un grand succès et le public sut remercier par ses chaleureux applaudissements les Educateurs Populaires dont le but est d’acheminer la masse vers toujours plus d’idéal et de beauté.

Réunis en Assemblée générale sous la présidence de M. Fenouil, les quarante-cinq membres fondateurs de l’Association naturiste « Les Naturistes de Provence » Section des Amis de « Vivre » adressent à M. M.-K. de Mongeot leurs plus vifs témoignages de sympathie et l’assurance de leur parfaite communion d’idée dans notre même doctrine.
Les Naturistes de Provence, 8 rue paradis (tél. Dragon 10-70) organisent le 5 avril sous la présidence de M. de Mongeot leur premier déjeuner végétarien avec causerie dans un établissement de la plage ; baignade si le temps le permet. Les membres peuvent inviter des amis. Inscriptions et renseignements au siège avant le 3 avril, dernier délai.
Les personnes désirant rencontrer notre directeur sont priées de prendre rendez-vous avec M. Ellis, au siège.

C’est ainsi qu’on parlera des Naturistes de Provence dans quasiment chaque numéro de Vivre. Comme dans le n°64 du 1er mars 1930 :
Une bonne nouvelle.

Les naturistes marseillais vont être contents. Dans une quinzaine de jours environ, va s’ouvrir un institut de culture physique en plein centre de la ville. Grâce à l’amabilité du Dr R. Vigoureux, un fervent naturiste, j’ai pu jeter un coup d’oeil sur l’installation afin que les lecteurs de Vivre en soient les premiers informés. C’est au 32 de la rue Estelle, autrefois une perception, que va s’ouvrir cet institut. Dès la porte, l’aspect est sympathique. Des murs en pierre de taille ornés d’écriteaux modernes en bleu pâle qui nous indiquent tout de suite les différentes salles. Un vaste cabinet de consultation s’ouvre sur la droite, au centre du vestibule, un vestiaire commun, à gauche, la salle d’actinothérapie non seulement splendide par ses proportions mais munie des derniers perfectionnements de la fée électricité. A côté, les installations d’hydrothérapie, chauffage central par le gaz partout. Portes et peintures aluminium. Le maximum de confort et de propreté. Ce n’est pas tout. Le Dr Vigoureux m’a formellement promis que les naturistes marseillais se présentant sous les auspices de Vivre ou de la Ligue auraient des tarifs réduits. En outre, des heures seront réservées pour eux. Au nom de Vivre et de la Ligue, un grand merci au Dr Vigoureux (D. Ellis, correspondant de Vivre)

Mais la plus importante de toutes est sans doute la nouvelle qui fut annoncée dans le n°67 du 15 avril 1930 : la mise à la disposition des naturistes par la mairie de Marseille d’une des deux îles du Frioul grâce à la requête faite par le professeur Beltrami auprès du député Sabiani, adjoint au maire qui, lui aussi médecin, se montrait particulièrement favorable aux thèses hygiénistes des naturistes:
« L’Association fait connaître qu’elle réservera le meilleur accueil à tous les naturistes se rendant en Provence, et qu’elle se tient à la disposition de tous les Amis de « Vivre ».

Composition du bureau pour 1930 : Président d’honneur : M. K. de Mongeot ; président : Le Dr L. Fenouil ; vice-présidente : Mme C. Pinguet ; vice-président : M. L. Souzy ; secrétaire général : D. Ellis ; secrétaire adjointe : Mlle A. Souzy ; secrétaire adjoint : M. Hérant Atechian ; trésorier : M. L. Vander ; conseiller juridique : Me Stefanini ; bibliothécaire : M. P. Pinguet.

L’Association a en outre nommé : une commission de réception, composée d’éminents docteurs de Marseille ; une commission d’enquête, de surveillance, de propagande, de sport et de tourisme.

L’Association a obtenu du service de la santé l’autorisation suivante, qui sera renouvelée sur demande : « L’autorisation pour l’accès au Frioul et Ratonneau pour le dimanche 23 mars est accordée à M. Dudley Ellis, accompagné d’une quarantaine de personnes environ, de sa société naturiste. M. Dudley Ellis voudra bien se présenter à son arrivée au Frioul à M. Grivelli, garde principal, pour toutes facilités et renseignements. Pour les Directeur de la Santé : Le Capitaine Secrétaire. »
L’Association rappelle à tous les lecteurs de « Vivre » qu’elle serait heureuse de recevoir des dons de toute nature, et que ceux-ci doivent être adressés au Secrétariat Général, au siège. »

C’est donc la première fois qu’est mentionnée l’île de Ratonneau qui avec Pomègues forment l’archipel du Frioul en rade de Marseille, non loin du Château d’If. Là, dans un lieu désert à l’époque, se dressaient les bâtiments désaffectés mais pas encore délabrés de l’ancien lazaret et de l’hôpital Caroline où les navires effectuaient autrefois leur escale sanitaire. Ironie de l’Histoire ou lieu prédestiné, la mairie a sans doute dû considérer avec un peu de condescendance que l’endroit était tout trouvé pour cette poignée de naturistes qui finalement ne demandaient rien d’autre que de se refaire une santé loin des regards, un peu comme autrefois les malheureux marins en quarantaine. De ponctuelle, l’autorisation ne tarda pas à se pérenniser.

On allait être tranquille, devait-on penser à la mairie, et les naturistes allaient bien vite se faire oublier sur leur îlot tondu. C’était sans compter l’impulsion d’Ellis qui allait faire une publicité considérable au site du Frioul, adressant de nombreuses photos des réalisations des Naturistes de Provence aux revues naturistes de toute l’Europe, avec notamment la fameuse photo prise sur les marches de l’hôpital Caroline, étonnante construction du XIXème siècle aux faux airs de temple grec, qui fera la Une de nombreuses revues européennes comme Pentalfa en Espagne ou Die Neue Zeit en Suisse, répandant ainsi l’idée dans toute l’Europe que Marseille et sa région était devenue en quelques mois la patrie du naturisme.

Plusieurs reportages paraîtront dans les revues naturistes allemandes, suisses ou espagnoles, des voyages d’échanges culturels à l’étranger auront même lieu dans les mois qui suivirent. Kiénné de Mongeot lui-même viendra en personne visiter les installations du Frioul dès le mois d’avril 1930 et s’étonnera de l’ampleur du chemin parcouru depuis la fondation des « Naturistes de Provence » en 1927:

Je n’espérais certes pas trouver un groupement aussi important et aussi actif à Marseille. Le succès de cette section est dû en grande partie à M. Ellis, secrétaire général de la Société « Les Naturistes de Provence » ainsi qu’à son sympathique président M. le Dr Fenouil. M. Ellis est un organisateur et un animateur de tout premier ordre. Des statuts clairs et pratiques, des règlements intérieurs très sévères mais intelligemment conçus basent cette Société sur des fondations solides. Impossible ainsi que le succès soit compromis dans l’avenir.

 

Ce ne sera pas sans étonnement et sans joie que nos lecteurs apprendront que la municipalité de Marseille et le Service Sanitaire ont aimablement facilité la tâche à M. Ellis. M. Sabiani, député, premier adjoint au maire, considère notre mouvement comme une oeuvre nécessaire. Il sut me le dire sans phrases, en quelques mots qui m’ont prouvé que j’avais en face de moi un homme perspicace, réfléchi, ne parlant pas en vain et sachant prendre ses responsabilités. M. le député Sabiani représente l’homme d’action tourné courageusement vers l’avenir qu’il prépare en organisant le présent avec les enseignements du passé.

Le repas végétarien que j’ai eu l’honneur de présider le samedi 5 avril fut plein d’entrain et de gaieté ; comment aurait-il pu en être autrement, avec des convives connaissant la joie de vivre au grand air, au soleil, et habitués à la pratique de la libre culture ? Le dimanche matin, nous nous rendîmes à l’île Frioul où est situé le centre gymnique.

 

Travaux, jeux, culture physique, danses, baignades, repas frugal à midi, repos et encore une salutaire activité physique voilà l’emploi du temps des jours de congé de nos adeptes. Comment dans la sympathie et la confiance d’un tel milieu, ne pas oublier les insultes et les calomnies d’adversaires ignorant le bonheur de vivre sainement ! « C’est admirable! me disait un médecin qui était des nôtres pour la première fois, je sens en moi une quiétude et une joie d’enfant. » Rien n’est plus vrai et plus juste : la pratique de la libre culture est un apaisement physique et un repos cérébral incomparables.

La fraternité unissant les adhérents et adhérentes de cette Société qui deviendra rapidement une des plus importantes de France, leur foi, leur saine et belle humeur doivent nous servir d’exemple. Toutes nos félicitations à nos vaillants amis de Provence qui contribuent puissamment au développement de notre mouvement et à l’oeuvre de régénérescence physique et mentale de notre belle race latine. »

Même si nous autres, à Marseille, on exagère toujours un peu, à n’en pas douter, un vent nouveau venu de Marseille se mit à souffler sur toute l’Europe en cette année 1930. 

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souleou83

nous somme un couple de 32 ans beatrice et 38 ans franck on a decouvert le naturisme aux antilles il y a 2 ans et depuis on reste accros

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goofy
30 octobre 2011 22h12

Dans ces archives,ils parlent de repas végétariens ce qui semblait une caractéristique des mouvements naturistes de l’époque.
Je me souvient aussi que mes grands-parents disaient connaitre des familles qui mangeaient vegetariens. Ces gens bien souvent étaient aussi naturistes mais par crainte du « qu’en dira t-on », pratiquaient le naturisme en toute discretion et se contentaient juste de révèler leurs pratiques alimentaires.
Chez eux, ils vivaient souvent nus l’été dans leur jardin en famille ou faisaient des voyages vers des destination propices au naturisme.C’était quand même des familles ayant des moyens financiers au dessus de la moyenne.

patykf
31 octobre 2011 12h36

Vraiment passionnant et instructif ces récits. On en redemande

durandale6
31 octobre 2011 18h42

super l’historique ! c’est bon de retrouver l’origine des choses.

CH13
2 novembre 2011 9h41

Document très instructif et intéressant pour le mouvement naturiste européen en général et pour les provencaux en particulier

BrunoSaurez
5 novembre 2011 13h08

Merci Gérard pour cette belle rétrospective de l’histoire du naturisme régionale 😀 :=! :b

Je me réjouis de voir que tu as trouvé de nouvelles photos que je ne connaissais pas encore, ça promet pour la richesse de mon futur livre en cours d’écriture :=! :b :b

Il va même falloir que je sélectionne les photos tellement que j’aurais l’embarras du choix !

Amicalement,
Bruno

ssa75012
15 novembre 2011 1h14

Vite la suite, merci pour ce super travail!

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