Si le naturisme est aujourd’hui associé à une pratique de loisir liée à la nudité, il a d’abord été une doctrine médicale créée au XVIIIe siècle. Comment la vogue des "médecines naturelles" a vu naître un courant de pensée qui promeut la nudité ? Comment le nudisme s'est-il répandu ?
Arnaud Baubérot (historien, spécialiste d'histoire sociale et culturelle ), Sylvain Villaret (Historien, spécialiste de l’histoire du sport et de l’éducation physique).
Le naturisme, au XVIIIe siècle, une doctrine médicale pudique
Avant de devenir dans l’imaginaire contemporain une pratique de loisir un poil excentrique, le naturisme a connu une histoire mouvementée. En effet, le naturisme a d’abord été une doctrine médicale inspirée des thèses hippocratiques qui s’est épanouie au XVIIIe siècle. Convaincus que la nature trouve par elle-même les chemins de la guérison, les médecins naturistes privilégiaient l’observation sur l’action et considéraient la maladie comme une réaction salvatrice de l’organisme, utilisée pour le purger.
"La nudité, se définit dans un rapport à soi et aux autres, elle renvoie à des normes. Entrapercevoir une partie de son corps est assimilé à la nudité choquante. Cette nudité renvoie bien évidemment à la pudeur. Néanmoins au départ, dans la médecine naturiste, il n'est pas question de se dévêtir. Être naturiste, c'est se soigner par la nature au moyen d'enveloppements et notamment de saignées, à la fin XIXe siècle. Ce n'est qu'après que, progressivement, apparaît l'idée d'un contact privilégié avec la nature, qui passe par un corps de plus en plus dévêtu", explique l'historien Sylvain Villaret, spécialiste de l’histoire du sport et de l’éducation physique.
"Le retour à la nature" en Allemagne
Au siècle suivant, largement concurrencés par les tenants de la médecine scientifique, allopathique et savante, les partisans du naturisme médical durent modifier leur approche pour ne pas disparaître. Ils s’appuient alors sur l’essor des cures naturelles (qui connaissent un franc succès en Allemagne) : ces thérapeutiques préconisent l’exposition du corps à l’air, à l’eau, ou encore au soleil, pour profiter des bienfaits des éléments naturels et bénéficier de la guérison. Dans un contexte de sensibilité grandissante face aux pollutions industrielles et au fantasme de la dégénérescence de la race, le "retour à la nature" est avancé comme un remède aux méfaits de la modernité.
"La pratique médicale naturiste est rénovée, en grande partie sous l'influence des traitements naturels allemands, qui importent certaines pratiques notamment celle de se dévêtir de plus en plus", explique encore Sylvain Villaret.
"Dans les pays germaniques, notamment en Allemagne, on observe une conjonction avec une sorte de néo-romantisme qui resurgit à la fin du XIXe siècle et qui change culturellement le rapport à la nature. Il existe une valorisation de la nature pré-culturelle, source de la culture allemande, conjuguée dans l'ère culturelle protestante, qui met en avant un rapport au corps rationalisé. On se dévêtit pour se soigner, il y a moins d'enjeux de pudeur. L'idée de montrer son corps nu dans un but de développement physique, de soin, constitue un rapport tout à fait rationnel au corps qui est moins lié à des enjeux de pudeur que dans l'ère culturelle catholique", raconte à son tour l'historien Arnaud Baubérot, spécialiste de l’histoire sociale et culturelle du rapport à la nature.
C’est à cette époque que certains partisans du "mouvement pour la réforme des modes de vie "en Allemagne commencent à valoriser la nudité.
Quelles vertus, notamment médicales, morales et politiques, lui sont alors associées ? Comment la pratique du nudisme se met-elle en place ? Comment ce nudisme-naturisme a-t-il été récupéré par des mouvements nationalistes allemands, et avec quelles conséquences ?
Pour en parler
Arnaud Baubérot est maître de conférences en histoire contemporaine à l'Université Paris-Est Créteil (UPEC) et chercheur au Centre de recherche en histoire européenne comparée (CRHEC). Ses travaux portent sur l’histoire sociale et culturelle du rapport à la nature, l’histoire des mouvements de jeunesse et des cultures populaires à l’époque contemporaine.
Il a notamment publié :
- Histoire du naturisme. Le mythe du retour à la nature(Presses universitaires de Rennes, 2004, réédition 2015)
- Hériter en politique : filiations, générations et transmissions politiques. Allemagne, France et Italie, XIXe-XXIe siècle(avec Ludivine Bantigny, Presses universitaires de France, 2011)
- Urbaphobie. La détestation de la ville aux XIXe et XXe siècles(codirigé avec Florence Bourillon, Éditions Bière, 2009)
- Le Scoutisme entre guerre et paix au XXe siècle(avec Nathalie Duval, L'Harmattan, 2006)
- L'Invention du scoutisme chrétien. Les Éclaireurs Unionistes de 1911 à 1921(Olivetan, 1997)
Sylvain Villaret est maître de conférences en histoire contemporaine et STAPS à l’Université du Mans. Il est spécialiste de l’histoire du sport et de l’éducation physique.
Il a notamment publié :
- Les Voix du sport. La presse sportive régionale à la Belle Époque(avec Philippe Tétart, Atlantica, 2010)
- Naturisme et éducation corporelle : des projets réformistes aux prises en compte politiques et éducatives (XIXe- milieu XXe siècles)(L'Harmattan, 2006)
- Histoire du naturisme en France depuis le siècle des Lumières(Vuibert, 2005)
Sons diffusés dans l'émission
- Extrait du film Knock, ou Le triomphe de la médecine réalisé par Roger Goupillières et Louis Jouvet en 1933
- Extrait de l'émission "Y'en a marre de tous ces gens à poil" tirée de "La pudeur est-elle encore d'actualité ?", Aujourd'hui Madame diffusée en 1974
- Lecture par Olivier Martinaud d'un extrait sur l’anarchiste naturien Émile Bisson dans l'article "Les plaies nécessaires", L’État naturel et la part du prolétaire dans la civilisation, n°3, 1897
- Extrait du documentaire Nu et libre, version allemande, diffusé sur Arte en 2009
- Archive d'un commerçant du Cap d'Agde dans l'émission Aujourd'hui Madame du 10 juillet 1978
- Extrait du film Le Gendarme de Saint-Tropez réalisé par Jean Girault en 1964
Emission radio
Et on entre dans le vif du sujet, le naturisme, dans cet épisode.
Si le naturisme est aujourd’hui associé à une pratique de loisir liée à la nudité, il a d’abord été une doctrine médicale créée au XVIIIe siècle. Comment la vogue des "médecines naturelles" a vu naître un courant de pensée qui promeut la nudité ? Comment le nudisme s'est-il répandu ?
Arnaud Baubérot (historien, spécialiste d'histoire sociale et culturelle ), Sylvain Villaret (Historien, spécialiste de l’histoire du sport et de l’éducation physique).
Le naturisme, au XVIIIe siècle, une doctrine médicale pudique
Avant de devenir dans l’imaginaire contemporain une pratique de loisir un poil excentrique, le naturisme a connu une histoire mouvementée. En effet, le naturisme a d’abord été une doctrine médicale inspirée des thèses hippocratiques qui s’est épanouie au XVIIIe siècle. Convaincus que la nature trouve par elle-même les chemins de la guérison, les médecins naturistes privilégiaient l’observation sur l’action et considéraient la maladie comme une réaction salvatrice de l’organisme, utilisée pour le purger.
"La nudité, se définit dans un rapport à soi et aux autres, elle renvoie à des normes. Entrapercevoir une partie de son corps est assimilé à la nudité choquante. Cette nudité renvoie bien évidemment à la pudeur. Néanmoins au départ, dans la médecine naturiste, il n'est pas question de se dévêtir. Être naturiste, c'est se soigner par la nature au moyen d'enveloppements et notamment de saignées, à la fin XIXe siècle. Ce n'est qu'après que, progressivement, apparaît l'idée d'un contact privilégié avec la nature, qui passe par un corps de plus en plus dévêtu", explique l'historien Sylvain Villaret, spécialiste de l’histoire du sport et de l’éducation physique.
"Le retour à la nature" en Allemagne
Au siècle suivant, largement concurrencés par les tenants de la médecine scientifique, allopathique et savante, les partisans du naturisme médical durent modifier leur approche pour ne pas disparaître. Ils s’appuient alors sur l’essor des cures naturelles (qui connaissent un franc succès en Allemagne) : ces thérapeutiques préconisent l’exposition du corps à l’air, à l’eau, ou encore au soleil, pour profiter des bienfaits des éléments naturels et bénéficier de la guérison. Dans un contexte de sensibilité grandissante face aux pollutions industrielles et au fantasme de la dégénérescence de la race, le "retour à la nature" est avancé comme un remède aux méfaits de la modernité.
"La pratique médicale naturiste est rénovée, en grande partie sous l'influence des traitements naturels allemands, qui importent certaines pratiques notamment celle de se dévêtir de plus en plus", explique encore Sylvain Villaret.
"Dans les pays germaniques, notamment en Allemagne, on observe une conjonction avec une sorte de néo-romantisme qui resurgit à la fin du XIXe siècle et qui change culturellement le rapport à la nature. Il existe une valorisation de la nature pré-culturelle, source de la culture allemande, conjuguée dans l'ère culturelle protestante, qui met en avant un rapport au corps rationalisé. On se dévêtit pour se soigner, il y a moins d'enjeux de pudeur. L'idée de montrer son corps nu dans un but de développement physique, de soin, constitue un rapport tout à fait rationnel au corps qui est moins lié à des enjeux de pudeur que dans l'ère culturelle catholique", raconte à son tour l'historien Arnaud Baubérot, spécialiste de l’histoire sociale et culturelle du rapport à la nature.
C’est à cette époque que certains partisans du "mouvement pour la réforme des modes de vie" en Allemagne commencent à valoriser la nudité.
Quelles vertus, notamment médicales, morales et politiques, lui sont alors associées ? Comment la pratique du nudisme se met-elle en place ? Comment ce nudisme-naturisme a-t-il été récupéré par des mouvements nationalistes allemands, et avec quelles conséquences ?
Pour en parler
Arnaud Baubérot est maître de conférences en histoire contemporaine à l'Université Paris-Est Créteil (UPEC) et chercheur au Centre de recherche en histoire européenne comparée (CRHEC). Ses travaux portent sur l’histoire sociale et culturelle du rapport à la nature, l’histoire des mouvements de jeunesse et des cultures populaires à l’époque contemporaine.
Il a notamment publié :
- Histoire du naturisme. Le mythe du retour à la nature (Presses universitaires de Rennes, 2004, réédition 2015)
- Hériter en politique : filiations, générations et transmissions politiques. Allemagne, France et Italie, XIXe-XXIe siècle (avec Ludivine Bantigny, Presses universitaires de France, 2011)
- Urbaphobie. La détestation de la ville aux XIXe et XXe siècles (codirigé avec Florence Bourillon, Éditions Bière, 2009)
- Le Scoutisme entre guerre et paix au XXe siècle (avec Nathalie Duval, L'Harmattan, 2006)
- L'Invention du scoutisme chrétien. Les Éclaireurs Unionistes de 1911 à 1921 (Olivetan, 1997)
Sylvain Villaret est maître de conférences en histoire contemporaine et STAPS à l’Université du Mans. Il est spécialiste de l’histoire du sport et de l’éducation physique.
Il a notamment publié :
- Les Voix du sport. La presse sportive régionale à la Belle Époque (avec Philippe Tétart, Atlantica, 2010)
- Naturisme et éducation corporelle : des projets réformistes aux prises en compte politiques et éducatives (XIXe- milieu XXe siècles) (L'Harmattan, 2006)
- Histoire du naturisme en France depuis le siècle des Lumières (Vuibert, 2005)
Sons diffusés dans l'émission
- Extrait du film Knock, ou Le triomphe de la médecine réalisé par Roger Goupillières et Louis Jouvet en 1933
- Extrait de l'émission "Y'en a marre de tous ces gens à poil" tirée de "La pudeur est-elle encore d'actualité ?", Aujourd'hui Madame diffusée en 1974
- Lecture par Olivier Martinaud d'un extrait sur l’anarchiste naturien Émile Bisson dans l'article "Les plaies nécessaires", L’État naturel et la part du prolétaire dans la civilisation, n°3, 1897
- Extrait du documentaire Nu et libre, version allemande, diffusé sur Arte en 2009
- Archive d'un commerçant du Cap d'Agde dans l'émission Aujourd'hui Madame du 10 juillet 1978
- Extrait du film Le Gendarme de Saint-Tropez réalisé par Jean Girault en 1964