Plaidoyer pour le droit des femmes d’être seins nus en public
Dans un long statut Facebook devenu viral, Éloÿse Paquet Poisson* raconte ce qui lui est arrivé dimanche après-midi, alors qu’elle était tranquillement assise avec ses rats dans le parc du Jardin Jean-Paul-L’Allier, dans le quartier Saint-Roch. Un endroit qu’elle fréquente régulièrement pour «chiller et prendre du soleil», précisera-t-elle en entrevue.
Assise sur une grande couverture jaune, Éloÿse faisait du macramé pour ses plantes, cigarette au bec et seins découverts, question de «pouvoir attraper quelques coups de vent frais qui rafraîchiraient mon under-boob».
Un premier policier qui l’observait de loin se serait approché et lui aurait demandé de se couvrir, ce qu’elle aurait refusé, soulignant à l’agent qu’il y avait plein de «dudes en chest» dans le parc.
Le policier se serait ensuite éloigné, puis d’autres patrouilleurs seraient arrivés «en renfort» quelques minutes plus tard. «Ils s’avancent, les cinq, vers moi. Mon coeur bat à tout varger, mais je garde les seins hauts et le regard perçant», raconte la jeune femme de 21 ans sur sa page Facebook.
S’en serait suivie une discussion entre Éloÿse et les policiers, qui, tout en convenant avec la jeune femme qu’ils ne pouvaient pas lui coller une amende parce qu’elle ne faisait techniquement rien d’illégal, lui auraient néanmoins déclaré vouloir s’assurer qu’elle ne fasse «rien de sexuel» avec ses seins.
La scène aurait en partie été filmée par un «gars en chest», qui aurait demandé aux policiers s’ils allaient l’arrêter parce qu’il avait le torse découvert. D’autres personnes auraient également signifié leur appui à la jeune femme. «Merci à tout le monde dans le parc pour le gros câlin de tendresse et de validation», remercie Éloÿse dans son statut Facebook.
En entrevue, Éloÿse Paquet Poisson précise que le premier policier, voyant qu’elle n’était pas «réceptive à ses demandes» de se couvrir, lui aurait expliqué que des enfants passaient dans le parc et que des gens «avaient fait des commentaires sur le fait que j’étais en seins».
«Je lui ai dit que je n’allais pas remettre mon chandail, que ça n’arriverait pas. Donc, il s’est en allé [...]. J’ai vu ensuite qu’il avait appelé d’autres polices, puis j’en ai vu arriver cinq. Avant de venir vers moi, les policiers étaient restés de longues minutes dans leur voiture, peut-être qu’ils vérifiaient la loi pour voir s’ils pouvaient me donner une amende, je le sais pas, mais moi, pendant ce temps-là, comme je n’avais pas mon cellulaire, j’ai demandé à des gens dans le parc de filmer quand ils allaient [intervenir] parce que je ne me sentais vraiment, vraiment pas en sécurité avec cinq hommes policiers», explique la jeune femme.
Éloÿse en convient, les policiers ont été «ben fins». Ce qu’elle leur reproche, c’est qu’ils ne l’auraient pas laissé parler «une miette», lui auraient constamment coupé la parole et «fait du mansplaining» (un concept féministe qui désigne une situation dans laquelle un homme explique à une femme quelque chose qu’elle sait déjà, souvent sur un ton paternaliste ou condescendant). Elle dit s’être sentie «menacée» lorsqu’ils lui auraient dit qu’elle pouvait être arrêtée si elle faisait quelque chose de sexuel avec ses seins.
«Ben voyons, ce n’est pas parce que j’ai des seins qu’ils ont le droit de me sexualiser ou de faire un lien direct avec le fait que je pourrais faire quelque chose de sexuel avec mes seins! On va pas dire ça à un homme!» fait valoir la jeune femme.
Au SPVQ, on a une version un peu différente des événements. Selon le sergent David Poitras, deux patrouilleurs se seraient rendus aux environs de 15h dimanche dans le parc du Jardin Jean-Paul-L’Allier après avoir reçu une plainte pour une femme qui avait les seins nus.
«Ils sont allés voir si la dame respectait la réglementation, ce qui était le cas, elle n’était pas en infraction du tout. En aucun moment, elle a été mise en état d’arrestation, comme elle le dit au début de son [statut Facebook]. Ça a simplement été une discussion entre les policiers et elle», précise le sergent Poitras.
Le porte-parole du SPVQ rapporte que si d’autres policiers sont intervenus, c’est parce qu’un individu de 25 ans se serait interposé et se serait mis à crier de façon «très agressive» à l’endroit des patrouilleurs. L’homme se serait toutefois calmé et n’aurait reçu qu’un avertissement, mentionne le sergent Poitras.
Selon lui, ce type de plainte n’est pas «fréquent» à Québec. «Mais c’est comme toutes les plaintes qu’on reçoit, il faut se rendre sur place pour voir s’il n’y a pas une infraction. Dans ce cas, il n’y en avait pas, mais on n’a pas le choix d’aller voir sur place pour voir ce qu’il en est», insiste le porte-parole du SPVQ, qui souligne par ailleurs que tant la jeune femme que les policiers ont fait preuve de «courtoisie».
Une pratique à «normaliser»
Ce que Éloÿse Paquet Poisson revendique, c’est le droit pour une femme d’être «en seins» en public si ça lui chante, au même titre que les hommes peuvent être «en chest». Elle veut que ça devienne une norme «parce que c’est là qu’on est rendu».
La société est rendue là, vraiment? lui avons-nous demandé. «Je pense que la société n’est pas pantoute rendue là, mais qu’on est une grande majorité de jeunes de mon âge — et les jeunes sont comme le futur — à revendiquer ça, à vouloir un changement. Et c’est là que ça se passe, pas dans cinq ans. On n’a pas à accepter que des interventions [policières] comme celle-là se passent», plaide avec aplomb la jeune femme, dont la publication Facebook a recueilli plusieurs centaines de réactions positives et de commentaires la félicitant. «Je ne veux pas avoir de bravos, je veux juste que ce soit une norme», dit-elle.
À l’argument voulant que ça puisse déranger des familles ou des enfants, Éloÿse Paquet Poisson répond qu’il s’agit ni plus ni moins d’une question d’éducation, ou de «rééducation».
«Je me souviens très bien qu’enfant, j’ai vu de nombreuses femmes sur la plage en monokini, que j’ai vu souvent des seins et que mes parents m’expliquaient que c’était tout à fait normal, que tout le monde avait des corps, des seins… Pour moi, ça a été normalisé dès ma jeunesse. […] C’est comme n’importe quelle chose dans la vie [à laquelle] on n’est pas habitué, c’est juste une rééducation qu’il y a à faire, un changement de mentalité qu’il faut amener. Donc au contraire, je pense que c’est super important que les enfants voient ça!» estime Éloÿse.
Des précédents
La question du droit des femmes d’être seins nus en public revient épisodiquement dans l’actualité. L’été dernier, une jeune femme qui avait choisi, canicule aidant, de laisser tomber son «haut» de maillot de bain à la plage du lac Héroux, à Saint-Boniface, avait fait couler beaucoup d’encre.
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ntervention policière à Québec pour avoir été seins nus au parc
Éloÿse Paquet Poisson entendait passer dimanche dernier comme la plupart des gens qui étaient en congé : sous le soleil, à se reposer et faire une activité qui lui plaît — dans son cas, c’est le macramé. Elle a choisi de donner suite à cette envie au jardin Jean-Paul-L’Allier dans l’arrondissement Saint-Roch à Québec avec ses deux rats, Phili et Pouki. Sauf que son après-midi ne s’est pas avéré aussi calme qu’anticipé.
À l’instar de ses comparses de parcs masculins, la femme de 21 ans était sans chandail. Une réalité qui a choqué un citoyen qui a déposé une plainte auprès de la police, a pu confirmer David Poitras, sergent aux communications du Service de police de la Ville de Québec (SPVQ). En réponse à cette demande, deux policiers seraient arrivés sur les lieux. Après une dizaine de minutes d’observation au loin, l’un des deux est venu lui demander de se rhabiller, ce à quoi Éloÿse a refusé d’obtempérer, connaissant pleinement ses droits.
Au Québec comme au Canada, il est légal pour une femme comme pour un homme de ne pas se vêtir le haut du corps dans un endroit public tel un parc, tant que cela n’a rien de sexuel et qu’il est justifiable de le faire. Dimanche dernier, la météo permettait donc pleinement de s’aérer le dessous des seins, avec 26 °C.
À partir de ce moment du récit, les versions diffèrent. Selon la police, un homme s’est interposé, avant de se mettre « à crier et à être agressif envers les policiers ». C’est à ce moment, et afin de le calmer, que du renfort est arrivé. Au total, quatre policiers se trouvaient au parc.
Dans la version d’Éloÿse que l’on peut retrouver en ligne sur son Facebook personnel, ce sont plutôt cinq policiers dans le cadre d’une seconde intervention qui l’auraient encerclée afin de lui demander les raisons derrière son refus, ce à quoi la barista a répondu connaître ses droits. À cette réponse, l’un d’eux aurait été surpris et aurait dit : « Comment ça se fait que tu connaisses ces règlements-là toi ? », trouvant surprenant qu’elle soit au courant. Il aurait par la suite ajouté qu’ « en tout cas, on n’a pas le droit de te donner d’amende, c’est vrai. Techniquement, c’est légal. »
Au bout du téléphone, Éloÿse met l’accent sur le mot « techniquement » alors qu’elle me raconte son histoire. « C’est comme s’il avait envie de m’en donner une. Mais c’est la réalité, c’est la loi, c’est légal », se justifie-t-elle. « Pourquoi était-il surpris que je connaisse la loi ? », demande-t-elle.
Puis c’est à ce moment, preuve vidéo à l’appui, qu’un homme s’est levé et a demandé aux policiers : « Allez-vous m’arrêter moi ? ». Cela aurait enflammé certaines passions au parc, puisque des citoyens se sont alors mis à scander « Le pouvoir aux femmes ! » et « Fuck the police ». Les policiers seraient alors repartis, sans donner d’amende à quiconque.
Apeurée
Selon David Poitras, l’entièreté de l’intervention auprès de la jeune femme s’est bien passée et tous ont été « très courtois ». Le sentiment perçu par Éloÿse n’est pas exactement le même, alors qu’elle dit s’être sentie intimidée par les hommes qui n’avaient pourtant rien à lui reprocher.
« Pourquoi envoyer cinq hommes ? Ça aurait été le minimum d’amener une intervenante », indique celle qui ne se sentait pas en sécurité. « Je me suis vraiment sentie attaquée personnellement dans mon dimanche après-midi tranquille. Je me sentais stressée, j’étais anxieuse et j’avais peur », explique Éloÿse Paquet Poisson qui a vu ces événements comme une attaque sexiste.
L’adrénaline et la volonté de montrer le bien-fondé de sa position lui ont permis de tenir debout et de ne pas se rhabiller, explique celle qui se promène seins nus depuis déjà un an, au parc et à la piscine, lorsque la chaleur pèse.
Et c’est avant tout la volonté d’informer amis et famille qui a poussé la diplômée en bioécologie à publier son récit sur Facebook. Ça, et la fierté de s’être tenue debout face à une injustice sexiste. Il n’était pas question de rabaisser le SPVQ, bien que certaines phrases de son statut aient cet effet.
Celui-ci est rapidement devenu viral, avec plus de 2600 j’aime, 400 commentaires et près de 900 partages. Dans les commentaires, on lit du soutien et de l’amour, mais aussi de la haine et de la violence sexiste une fois le statut plus populaire. Éloÿse Paquet Poisson, qui a indiqué ne pas s’être attendue à tant de partages, mentionne qu’elle fait fi des commentaires blessants.
« Tout ce que je voulais [accomplir avec mon statut], c’était dénoncer la situation, informer les gens sur leurs droits et ouvrir un dialogue sur le sujet », explique la passionnée de macramé qui souhaite que ses seins ne soient un jour plus hypersexualisés.
Que pourrait bien faire de sexuel une femme "en seins" en public toute seule avec ses seins ? Je ne vois pas bien. Se les tripoter ? Je n'ai jamais vu une femme se tripoter les seins sur une plage, et j'en ai vu des poitrines nues. Au plus se passer de la crème anti UV et se masser un peu.
C'est vrai qu'il faudrait libéraliser cette histoire de seins nus. On n'en est plus là. Que les femmes puissent faire comme les hommes, dans les mêmes limites. J'entends par là de la décence (par exemple, je n'apprécierais pas qu'un homme soit torse nu au cinéma ou au restaurant). Une femme non plus, bien sûr, ceci pour les esprits chagrins. Je n'apprécie pas du tout, mais alors, pas du tout, les hommes torse nu en pleine ville. C'est de l'impolitesse.
l'aspect révolutionnaire de cette idée.
Il n’existe, tu le démontres bien, qu’en fonction des « bonnes manières » usuelles en fonction de la « culture locale » dans un endroit donné quasiment exclusivement liée à l’histoire du lieu.
Suite du débat dans la Belle Province:
Marchand n'entend pas bloquer les seins nus en public
«Je n'ai pas à être en faveur ou en défaveur, la loi le permet», a-t-il répondu prudemment, au lendemain du plaidoyer d'une jeune femme pour le droit d'être seins nus en public.
Éloÿse Paquet Poisson dénonçait mercredi au Soleil avoir été interpellée par des policiers de Québec au parc du Jardin Jean-Paul-L’Allier, alors qu'elle s'y reposait, les seins à découvert. Les agents seraient intervenus après avoir reçu une plainte. La jeune femme revendique plutôt de «normaliser» la pratique.
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Actualités
Plaidoyer pour le droit des femmes d’être seins nus en public2 juin 2022
Le Code criminel n’interdit d'ailleurs pas aux femmes d’avoir les seins nus en public. Ce que la loi proscrit toutefois, c’est de commettre des actions «indécentes».
Le maire Bruno Marchand préconise ainsi l'approche du respect de la loi. «On respecte la loi, assure-t-il. Après, les gens sont capables de se gouverner en fonction de ce qui est important pour eux».
Dans ce dossier, il compte laisser le corps de police faire son travail, en rappelant qu'au-delà des seins nus, la question d'ordre et de désordre public doit aussi être examinée.
«C'est leur travail [aux policiers] d'utiliser un jugement pour voir s'ils respectent l'ensemble des règles, notamment celles concernant l'habillement, celles concernant la relation entre les gens», conclut le maire Marchand.
Seins nus au parc, elle est interpellée par des policiers de Québec
Photo Facebook
Éloÿse Paquet Poisson
Éloÿse Paquet Poisson s’est fait interpeller par des policiers, dimanche dernier, alors qu’elle prenait un bain de soleil, seins nus, dans le Jardin Jean-Paul-L’Allier de Saint-Roch, un parc de Québec. Des agents se seraient approchés d’elle pour lui demander de se couvrir, même si la loi n’interdit pas aux femmes de dévoiler leur poitrine.
«J’étais assis.e sur une grande couverture jaune, dans ma longue jupe de papillons, j’y faisais des macramés avec toute ma concentration, une clope au bout des lèvres. Mais à ce moment-là, je ne savais pas que j’avais l’air si menaçant.e», raconte-t-elle dans une publication Facebook qui a été repartagée plus de 1000 fois.
CAPTURE D'ÉCRAN
CAPTURE D'ÉCRAN
«Pourtant, un premier policier s’approche de moi, dix longues minutes après m’avoir observé de loin et parlé au talkie pour avoir le go à intervenir», poursuit la jeune femme, qui a l’habitude de fréquenter ce parc.
«On vous demanderait de vous couvrir s’il vous plaît», lui aurait demandé ce premier agent. «C’est qu’il y a des familles qui passent ici», aurait-il ajouté. Éloÿse Paquet Poisson lui aurait alors répondu que le parc était rempli d’hommes torse nu.
Devant son refus de se couvrir les seins, le policier serait reparti. Mais une dizaine de minutes plus tard, cinq nouveaux policiers seraient arrivés en renfort. Affirmant être dans ses droits, elle aurait demandé aux agents pourquoi ils faisaient «une intervention». «On voulait vérifier que tu fasses rien de sexuel», lui aurait dit un agent.
Alors que la grogne montait dans le parc, les policiers auraient décidé de repartir, près d’une heure après l’arrivée du premier agent.
Capture d'écran/Google
Contacté par le 24 heures, le SPVQ a soutenu être intervenu après avoir reçu une plainte d’un citoyen au parc. «Dès qu’il y a plainte, on doit se rendre sur les lieux pour faire des vérifications», nous a-t-on indiqué.
Le SPVQ affirme que d’autres policiers se sont ajoutés après qu’une personne eut monté le ton. L’homme se serait ensuite calmé et il n’aurait reçu qu’un avertissement.
Une question de liberté
En partageant son histoire sur Facebook, Éloÿse Paquet Poisson assure qu’elle ne voulait pas lancer un mouvement. Elle souhaite plutôt que tout le monde puisse faire ce qu’il veut de sa poitrine et être bien dans son corps. «Je n’encourage pas les femmes à être seins nus, mais que les gens qui veulent être en chest, puissent le faire en liberté», dit-elle.
Et pour la jeune de femme, qui doit bientôt se faire enlever une tumeur sur un sein, ce bain de soleil avait une signification toute particulière.
«Je vais potentiellement avoir le cancer du sein dans un mois, et je pourrais en perdre un. C’est moi qui deal avec ça, confie-t-elle en entrevue au 24 heures. Personne ne me dira quoi faire avec mes seins, alors que je vis la plus grande épreuve de ma vie.»
Au cours des derniers jours, elle affirme avoir reçu beaucoup de messages d’appui. Sous sa publication, la majorité de ses commentaires sont d’ailleurs positifs.
Voici ce que la loi dit
Au Québec et au Canada, il n’est pas illégal en soi d’être seins nus dans un espace public, puisque le Code criminel ne l’interdit pas expressément, explique Éducaloi. Une ville ou une municipalité ne peut pas non plus interdire aux femmes d’être seins nus en public.
Il n’est toutefois pas permis de tout faire avec les seins nus. Il ne faut pas dépasser «la norme de tolérance de la communauté» en ayant, par exemple, des comportements sexuels alors qu’on a les seins nus, précise Éducaloi. Se caresser le corps tout en étant seins nus pourrait ainsi être considéré comme de l’indécence.
Excusez moi d'avoir reçu une bonne éducation et de l'avoir gardée. Désolé, mais les torses nus masculins en ville me dérangent, ne vous en déplaise.