Ces photos de nu "célèbrent l’amour, la sexualité et la tendresse chez les ainés" queer
Arianne Clément
Écrit par NEON| Le 18.11.2021 à 05h59 Modifié le 18.11.2021 à 19h25
Dans sa série "L'art de vieillir queer", la photographe Arianne Clément immortalise cinq seniors LGBT, qui reviennent sur leur sexualité.
Nudité, troisième âge et communauté LGBT. Arianne Clément a décidé d'en faire une série photo d'une grande sensualité. Exposé à Valcourt au Québec jusqu'au 12 décembre prochain, son projet "L'art de vieillir queer" se distingue par sa tendresse. Des femmes et des hommes âgés s'enlacent et partagent des bribes de leur sexualité au travers de clichés intimes.
Issue d'une collaboration avec l'organisme québécois "Les 3Sex", qui sensibilise sur les questions de sexualité et lutte en faveur des droits sexuels, la série de photos s'accompagne de témoignages forts des cinq modèles, qui reviennent sur leur rapport à leur identité queer. Entretien avec la photographe Arianne Clément.
Qu'est-ce que votre projet "L'art de vieillir queer" raconte des séniors ? Arianne Clément : Les participants, en dépit d’âges comparables, sont issues de mondes forts différents, et expriment des conceptions à la fois contrastées et nuancées de l’homosexualité. La diversité n’est pas qu’un trait fédérateur de la communauté LGBTQ+ prise dans son ensemble. C’est également une caractéristique qui s'applique au sein même des individus qui composent ce mouvement. Cinq modèles, cinq parcours de vie uniques dans les marges de ce qui constituait autrefois la norme, cinq visions que reflètent les œuvres photographiques et les témoignages de cette série, qui deviennent autant d’apports à la compréhension de ce qu’est "être queer".
Pourquoi les personnes âgées constituent un des sujets les plus présents dans votre travail ? Parce qu'ils sont très peu représentés dans notre société très jeuniste. Parce que je les trouve magnifiques. Parce que j'aime leur compagnie et leurs histoires.
Pourquoi avoir choisi de capturer vos modèles nus ? C'est une longue histoire. Tout à débuté en 2016 quand j'ai fait une série sur les rituels de beauté de femmes centenaires. L'une des femmes que j'ai rencontrée, Marie-Berthe, qui avait alors 102 ans, était particulièrement sexy, coquette et à l'aise devant la caméra. Elle était bien dans son corps et le manifestait à travers nos photos. J'ai été très inspirée par cette expérience et c'est pour ça qu'en 2018, quand on m'a demandé de monter une exposition sur le thème de la femme, j'ai décidé de faire une série de boudoir/nu avec des femmes âgées de 70 ans et plus. En 2019, j'ai invité les hommes à participer au projet et en 2021, j'ai invité des membres de la communauté LGBTQ+ suite à une commande de l'organisme Les 3sex. Ceci dit, je suis loin de ne faire que du nu ! Je lance mon premier livre photo cette semaine qui porte sur les personnes âgées des zones bleues, les régions du monde où l'on a la plus grande espérance de vie. C'est un projet qui porte sur le bonheur, la santé et la longévité et dans lequel il n'y a aucun nu...
Qu'est-ce que cette nudité ajoute à l'image selon vous ?
Dans les médias ou les arts, la tendance est de représenter de jeunes et minces personnes pour parler de désir, de sexualité, de sensualité, pour nous vendre un peu de tout, pour nous convaincre d'altérer notre corps... Une grande partie de la population ne se sent pas représentée à travers ces images qui sont pernicieuses et causent de grands dommages aux femmes et aux hommes qui se sentent obligés de lutter contre le vieillissement. Ma démarche est simplement de promouvoir plus de diversité et de prouver que l'on peut être belles et beaux à tout âge et surtout, qu'il est possible de s'accepter tel que l'on est. Pour le projet "L'art de vieillir", sur la sexualité des seniors qui visent à se défaire des tabous, le choix du nu allait de soi.
Nous avons peu de représentations des séniors queer. Pourquoi était-ce important pour vous de les mettre en lumière ? J'ai constaté au cours des dernières années, qu'il y a un besoin profond et répandu de célébrer l’amour, la sexualité et la tendresse chez les ainés, avec, en filigrane, une volonté d’en défaire avec les tabous sur la sexualité du troisième âge. Ce projet fait aussi écho à ma sensibilité de longue date à l’endroit des marginaux, des oubliés et des non-conformistes et à ma préoccupation pour le bien-être et l’épanouissement de mes amis, collègues et connaissances issus de communauté queer. L’incompréhension, doublée d’un sentiment de révolte, face aux discriminations et aux violences que subissent encore les membres de la communauté LGBTQ+, en dépit d’avancées significatives accomplies durant les dernières décennies, ont aussi motivé la création de cette série. C’est pour promouvoir l’inclusivité, la diversité, l’acceptation et l’ouverture à l’autre que ce projet est mené à terme.
Pakko, 63 ans : "Je ne m’identifie pas à la communauté LGBTQ+. Je suis un fils de Gaïa, de la pachamama, notre terre-mère. Avant que les Européens n’introduisent ces conceptions en Amérique, nous avions notre place sans préjugés dans tous les peuples de ce continent. Vers l’âge de 5 ou 6 ans, je savais déjà que j’étais attiré par les garçons. J’ai commencé à expérimenter la sexualité très jeune et j’ai eu une vie sexuelle bien remplie. Je suis arrivé à Montréal à l’âge de 21 ans. J’ai dû abandonner l’université à cause de mes activités politique au Guatemala. Ma vie était en danger. Ça a été un choc culturel. Moi, gay ?! Sortir du placard ? Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Je suis un être humain et ma sexualité fait partie de ce que je suis ! J’ai vécu de la discrimination et du racisme dans le monde gay, pas dans le monde hétéro. J’ai toujours été heureux ici avec mes amis et mes camarades de travail, mais dans le monde gay, c’est la jungle et il faut savoir survivre. Ce n’est pas la sexualité de l’homme qui change en vieillissant, mais sa conception de l’être. On approfondit nos valeurs et notre spiritualité. Les choses superficielles n’ont plus d’importance. Il faut évoluer pour ne pas quitter le monde physique sans y avoir trouver un sens. La sexualité est plus difficile au niveau physique mais ô combien plus riche de l’intérieur."Arianne Clément
Mélody, 69 ans : "À part pour avoir participé quelques fois à la Parade de la fierté, et y avoir ressenti une pointe de fierté, je ne m'identifie pas vraiment à la communauté LGBTQ+. Je suis une femme qui aime une femme, c'est tout. J'étais bisexuelle durant mon adolescence. Je me suis mariée pour être comme les autres et j'ai eu une merveilleuse fille qui me respecte dans ce que je suis. J’ai quitté mon ex-mari pour aller vivre avec ma première femme. C’est là que j’ai senti que j'étais vraiment lesbienne. Faire l'amour avec une femme m'excitait beaucoup. Ma vie sexuelle a été torride, jouissive et extasiante. La passion est encore très présente avec ma copine de 74 ans. Nos regards langoureux en disent long sur notre désir. Évidemment, c'est plus difficile d'atteindre l'orgasme et, quand nous l'atteignons, il est moins fort et ne dure pas très longtemps. Mais, nous entretenons la flamme par une multitude de caresses et de baisers. De vraies petites gourmandes. Si je me sens attirante ? Oui et non. Oui, à travers les regards d'amour et de désir de ma blonde mais j’ai une certaine retenue quand nous sommes nues car j'ai pris du poids et le temps a fait ses ravages sur mon corps. Je suis un peu gênée. Mais comme ma copine vieillit elle aussi, nous en rions, la plupart du temps. Cette séance photo a été l’un des moments les plus uniques de ma vie. J'ai été conquise par le dynamisme de la belle Arianne et sa belle connivence avec nous. Ces moments ont été tout simplement magiques : la beauté de l’instant nous a complètement envahies et nous étions plus amoureuses que jamais !"Arianne Clément