Tous les naturistes ne sont pas des nudistes. Le nudisme est une pratique du naturisme née plus tardivement au début du XXe siècle. Quand le naturisme est un mouvement culturel qui répond aux principes d'une philosophie de la nature plus globale née au XVIIIe siècle et qui s'appuie d'abord sur la médecine naturelle.
Dans l'émission "Le Téléphone sonne", Eric Delvaux recevait Viviane Tiar, présidente de la Fédération française du naturisme et Julien Claudé-Pénégry, porte-parole de l’Association des Naturistes de Paris pour discuter des nouvelles pratiques du naturisme. Ils rappelaient que le naturisme ne se résume pas exclusivement au nudisme mais qu'il est d'abord "une philosophie de vie plus naturelle, historiquement définie comme une pratique naturelle de la médecine". L'occasion de retracer les origines de ce mouvement culturel grâce à l'historien Arnaud Baubérot qui a consacré un livre sur la question et qui s'était exprimé au micro de Jean Lebrun dans "Le vif de l'Histoire".
À l'origine, la défense d'une médecine naturelle
Le naturisme naît en plein siècle des Lumières. Il se définit comme un programme de transformation sociale, issu du désir de défendre une médecine naturelle face à la naissance de la médecine dite "thérapeutique" et "moderne". Les premières formes du naturisme émergent avec le souci d'un retour àune conception antique de la médecine, préconisée par le médecin grec antique Hippocrate(460 av J.-C - 377 av. J.-C.) dans le rôle que joue nécessairement la nature dans les maladies. Si "l'état de nature" est d'abord défini parla philosophie des Lumières, de nombreux médecins naturistes l'exploitent pour partager une vision qui consiste à penser que les maladies ont tendance à guérir d'elles-mêmes. Non sans éprouver au passage un certain scepticisme à l'égard des approches modernes plus thérapeutiques et rationnelles.
Le principal remède préconisé est la croyance en la force vitale bienfaitrice, celle qui renvoie à la fameuse théorie des humeurs. Il s'agit de renouer avec une observation de la santé au plus près de la nature, et défendre l'idée d'une nature médicatrice. Parmi ses concepteurs, le biologiste Georges-Louis Leclerc de Buffon, le médecin et encyclopédiste Jean-Joseph Menuret, le médecin Xavier Bichat, et le philosophe et médecin Théophile de Bordeu. C'est ce dernier qui est le premier à concevoir le néologisme de "naturiste" dans ses Recherches sur l'histoire de la médecine, pour qualifier les médecins qui prennent la nature pour seule guide. Ils estiment que le corps humain est naturellement doté de forces vitales qui régissent son fonctionnement et que l'ordre de la nature est le seul agent curateur des maladies.
Invité dans l'émission Le Vif de l'histoire, Arnaud Baubérot expliquait que "le naturisme insiste sur la nécessité de renforcer les défenses de l'organisme par les seuls bienfaits de la nature. Un mouvement qui se fédère surtout au XIXe siècle autour de l'idée qu'une maladie venue de l'extérieur peut être évitée si le corps suit l'hygiène naturelle nécessaire".
Une conception médicale qui pèse toutefois de moins en moins face aux progrès des sciences médicales induit, progressivement jusqu'à la fin du XIXe siècle, par une meilleure compréhension de l'anatomie, de la biologie, de la chimie, l'adoption de méthodes plus expérimentales, la médecine de laboratoire et l'essor progressif de la microbiologie. Mais c'est une philosophie qui reste toujours très actuelle (notamment en ce moment avec la situation et la politique sanitaire).
C'est essentiellement dans les pays germaniques que le naturisme médical rencontre un grand succès à ses débuts. Les médecins naturistes sont encore très influents, et continuent de mettre au point des méthodes de traitement naturelles. Un de ses grands théoriciens est le médecin autrichien Vinzenz Priessnitz qui soigne, au début du XIXe siècle, les gens par des applications d'eau froide - c'est l'hydrothérapie- mais aussi l'exercice physique conçu sur l'idéal hygiéniste des athlètes grecs. Une méthode, explique Arnaud Bauberot, qui "consiste à faire transpirer le corps en stimulant une certaine force naturelle qui puisse lutter contre les maladies". Il faut endurcir le corps pour optimiser ses propres capacités de résistance. À sa suite, c'est l'abbé Sébastien Kneipp (Ma cure d'eau), qui durant la seconde moitié du XIXe siècle, contribue à la multiplication des premiers établissements de cure dédiés à cette médication naturiste. En même temps, il encourage la formation d'associations regroupant les partisans de cette méthode dont la sienne propre en 1894. Le guérisseur suisse Arnold Rikli ajoute lui l'héliothérapie ou le bain de soleil puis de lumière, dans les années 1860 comme méthode d'échauffement du corps, dans des parcs aménagés (ou la naissance de la pratique culturelle du bronzage !).
Les éléments naturels sont les plus aptes à rétablir le fonctionnement normal des organes. Très vite, cette philosophie devient plus largement politique.
L'ordre de la nature pour changer l'ordre social
C'est une philosophie qui exprime aussi, pour certains, une réaction hostile au matérialisme et au capitalisme industriel. Une conception de la vie récupérée à des fins politiques par les milieux anarchistes à la fin XIXe-début XXe siècle) pour exprimer un certain rejet de l'ordre social, notamment via l'influence du peintre Émile Gravelle et la formation du Cercle des Naturiens. Ils entendent défendre les maux d'un prolétariat dont le salut ne peut passer que par un retour à la nature. Toutefois, c'est loin d'être la priorité du monde ouvrier. Mais ce mouvement qui peut se définir comme réactionnaire est lui-même le fruit d'une société individualiste naissante permise par l'évolution des mœurs et les progrès sociaux. La croyance en l'existence de lois naturelles aura souvent été exploitée pour justifier la transformation d'un système qui compromettrait les relations humaines et le rapport de la société avec la nature. Il s'agit de procéder à une véritable rénovation sociale. On a eu l'habitude d'opposer à l'ordre social, l'ordre de la nature.
AB : "C'était un point d'attaque pour contester la société, jusqu'à ce que les attentats anarchistes conduisent à leur déstructuration par la répression policière au milieu des années 1890. C'est ce qui contribue pour beaucoup à une sorte de repli sur la recherche d'un mode de vie alternatif, comme dans la France des années 1970, après l'échec de mai 1968, où un certain nombre de militants se tournent vers des communautés néo-rurales, pour prôner un retour à la vie naturelle ou la recherche de modes de vie alternatifs. Les anarchistes de la bande à Bonnot, à la veille de la Grande guerre sont, à certains égards des 'naturiens', tant eux-mêmes sont abstinents d'alcool, de tabac, végétariens, pratiquent l'hygiène naturiste ascétique et la gymnastique nue au grand air chaque matin".
Alimentation naturelle : le végétarisme et naturisme
Les médecins naturistes confèrent également à cette philosophie un idéal de modération et de frugalité en matière d'alimentation puisque la santé ne peut se concevoir sans une nourriture saine. La nutrition joue un rôle primordial dans le fonctionnement du vivant. Les deux courants partagent la même conception de la santé et des règles à suivre pour préserver le corps de façon plus naturelle. Le naturisme va toujours avec une recherche d'une alimentation plus saine. Les revues végétariennes publient de nombreux papiers consacrés à la médecine naturiste durant le premier quart du XXe siècle. L'accent est donné sur une alimentation naturiste, avec des produits associés à une hygiène de vie alternative. C'est la promotion du végétarisme et du végétalisme, considérés comme plus naturels, popularisés par le médecin Paul Carton dans Les trois aliments meurtriers.
Du nudisme partiel au nudisme intégral
Les naturistes allemands du XIXe siècle conçoivent la dénudation dans une perspective hygiéniste et sportive qui va aussi s'exporter "en France, où on monte des réseaux de vente par correspondance de vêtements dits "naturistes", qui consistent à se laisser tenter par des chemises de lin amples, des sandales, des vêtements censés permettre au corps de s'aérer".
AB : "Très vite le naturisme est associé à la pratique du divertissement. Entre deux guerres, on crée des clubs ou des centres fermés pour que les amateurs de naturisme, et du nudisme (gymnosophie) puissent se retrouver, se mettre nu ensemble ou se déshabiller, pas forcément intégralement, mais profiter ensemble des bienfaits du soleil, de l'eau fraîche…". Mais c'est déjà "faire du naturisme" que de se retrouver dans des centres entre amis pour pratiquer des jeux ou des exercices physiques variés nus ou en maillot de bain. Ce sont des lieux favorisés parles frères médecins André et Gaston Durville qui démocratisent véritablement le naturisme et le rendent accessible au plus grand nombre avec une justification médicale de moins en moins systématique. Seule l'alimentation saine et la pratique régulière d'une activité physique est avancée. Sans oublier bien sûr la question du vêtement. Toutefois au camp de Chevreuse, à Physiopolis sur l'île de Platais et ou encore à Héliopolis sur l'île du Levant, dans le Var, le nu intégral est encore interdit et le dévêtissement n'est pas encore synonyme de nudisme intégral.
C'est un certain Marcel Kienné de Mongeot qui engage véritablement une généralisation de l'acceptation du nudisme au sein du naturisme, par le biais de sa campagne en faveur de la nudité dans sa revue Vivre intégralement dès 1927. Quand on adopte encore pour l'essentiel, la nudité partielle partout ailleurs. Pour lui comme pour de nombreux autres défenseurs naturistes qui viennent après lui, le nudisme permettrait de cultiver une plus grande tolérance à l'égard des corps tels qu'ils sont dans leurs différences. Le corps mis à nu ne susciterait plus de regards discriminatoires, ambigus et pervers.
AB : "C'est lui qui fonde les premiers centres naturistes où on pratique la nudité intégrale. La nudité intégrale apparaît et se systématise vraiment à la fin des années 1920', début des années 1930', comme le Club gymnique de France à Villecresnes, un des premiers lieux où on pratique la nudité intégrale collective dès 1930".
Le naturisme s'ouvre au grand public dans les années 1950-1960à une période en pleine expansion et qui appelle à une plus grande acceptation de soi-même, de son propre corps, et de celui des autres. Le mouvement révolutionnaire de Mai 68 passe par là. Julien Claudé-Pénégry estime que "sans vêtements, ce sont les barrières sociales qui tombent sous l'effet d'une plus grande égalité mise à nue. La force de la nudité permet de mettre tout le monde au même niveau. On ne regarde plus l'homme ou la femme avec un regard plein de préjugés et de fausses idées".
Si le nudisme est devenu une des grandes composantes du naturisme, celui-ci ne saurait se détacher de l'idée de réforme hygiénique, de changement alimentaire, de l'entretien et des représentations du corps, le rapport à la mode vestimentaire.
Article très intéressant, vraiment, Gilles.
Je cite : "de nombreux médecins naturistes l'exploitent pour partager une vision qui consiste à penser que les maladies ont tendance à guérir d'elles-mêmes. Non sans éprouver au passage un certain scepticisme à l'égard des approches modernes plus thérapeutiques et rationnelles."
Vu ce texte et certains blablas éparpillés sur ce forum, je crains que, si certains vont jusqu'au bout de leur logique, ils ne soient contraints de traiter Hippocrate et lesdits médecins des Lumières de ... complotistes. Absurde, non ?
C'est avec le recul de l'Histoire qu'on s'aperçoit que certaines agitations du moment présent sont inutiles et vaines.
Julien Claudé-Pénégry estime que "sans vêtements, ce sont les barrières sociales qui tombent sous l'effet d'une plus grande égalité mise à nue.
ça, par contre, c'est une vue de l'esprit.
Dans un centre naturiste si le locataire du chalet A et le locataire du chalet B se disent bonjour en toute nudité, le modèle de bagnole garée devant le chalet A servira de moyen subsidiaire de comparaison, avec le modèle de bagnole garée devant le chalet B.
Comparer des voitures ne suffit pas : Une personne modeste peut être fan de voitures et en avoir une chère et une personne riche s'en foutre complètement et en avoir une pas chère. Et julien sous entend de quand les personnes naturistes se côtoient et ce n'est pas souvent devant le chalet mais plutôt à la plage ou piscine ou lors d'activités. La manière de parler peut trahir une éducation plus ou moins élitiste ou pas, mais d'un autre côté quand on aperçoit des naturistes, on ne discute pas forcément avec eux.
Pour le peu que je connais, je ne vois pas que 'les naturistes' soient différents en aucune façon d'autres groupes constitués autour d'autres activités ou courants de pensée, ni meilleurs, ni pires.
De même je ne vois pas non plus qu'ils soient plus 'pro-nature' que d'autres, par exemple les randonneurs, les alpinistes, les défenseurs de la cause animale, les végétariens, etc. dont une infime minorité est naturiste.
Enfin, je ne vois aucune différence avec d'autres groupes quant aux relations sociales, à la mixité sociale...
De mon point de vue, sans doute très incomplet, les naturistes se distinguent essentiellement par le rejet d'une norme sociale particulière qui veut imposer que la nudité soit réservée à la sphère privée. D'où ma présence ici, puisque je considère cette norme sociale anti-nudité comme archaïque, irrationnelle et néfaste. Pour moi, le principal intérêt du naturisme, outre le confort et le plaisir physique, est sans doute le principe de tolérance via l'acceptation de son propre corps d'abord, et de celui des autres bien sûr.
Je suis par contre personnellement très sceptique quant à la soit-disant 'philosophie' du naturisme. Il suffit de se référer à l'article premier de ce fil, pour comprendre que, même si ce mouvement est né au siècle des lumières, il s'agissait essentiellement d'une vision obscurantiste, exactement à l'opposé de ce qu'était le siècle des lumières, à savoir la prise de pouvoir des connaissances sur l'obscurantisme. Alors, bien sûr, certains peuvent se plaire dans cet obscurantisme qui revient au goût du jour via l'anthroposophie, l'homéopathie, la biodynamie, la naturopathie, etc. Pas moi. Et peut-être pas non plus une majorité de naturistes ?
Constater que le naturiste n’a pas le monopole des causes (bio, animales, environnement, etc) est pertinent et donne sens à l’orientation prise par le “Mouvement Naturiste”.
@ropito @phile. Pour le Mouv.Nat. C’est juste que comme il était question de “non monopole” des naturistes, j’ai pensé (tout haut) à la volonté du Mouv.Nat. d’initier des événements impliquant d’autres acteurs que les naturistes mais ayant des convergences (climat, écologie, animaux) ; aucune volonté de prosélytisme dans ce propos, juste un aparté.
Juste une petite précision. Les approches "naturopathiques", et ce terme vague recouvre beaucoup de pratiques différentes parfois très contradictoires voire contestables, ne part pas du principe que la nature est bonne ou mauvaise, mais qu'elle cherche en permanence à être en équilibre ou à rétablir celui-ci lorsque des évènements, naturels ou non, ont perturbé cet équilibre. Et il faut bien reconnaître que lorsque on s'est cassé un os, ce n'est pas le plâtre ni les traitements qui ressoudent l'os, mais bien l'organisme lui-même. Idem pour la cicatrisation d'une plaie. Pour autant, cette approche n'est pas incompatible avec l'utilisation raisonnable de la médecine moderne.
L'article transmis par Gilles et qui ouvre ce fil de discussion, et qui est, si j'ai bien compris, la retranscription d'une émission de France-Inter, me fait réagir (un peu tard peut-être, mais je suis rentré de vacances il y a peu) sur l'histoire du naturisme, au dix-huitième siècle, quand celui-ci n'était pas encore nudiste. En effet, on retrouve, dans le très long fil sur la Covid ou dans bon nombre de mouvements, associations ou partis écologistes, l'axe de cette doctrine tel qu'il a été défini à l'époque : "les maladies ont tendance à guérir d'elles-mêmes", car nous disposons d'une "force vitale bienfaitrice" au sein d'une "nature médicatrice".
A l'époque, les germes pathogènes (microbes, puis plus tard virus) n'avaient pas été découverts. Bon nombre de médecins invoquaient une "théorie des humeurs". On ne connaissait pas non plus l'hygiène, le simple fait de se laver les mains. Et, bien sûr, la Sécurité sociale n'existait pas. Mais on avait remarqué que la plupart des maladies, si elles ne vous emportaient pas, guérissaient plus ou moins spontanément, que les blessures finissaient par cicatriser. On retrouve dans le mouvement naturiste (pas le Mouvement, avec une majuscule) ainsi que chez les écolos cette idée que le corps dispose des moyens pour se maintenir en bonne santé. Par la suite, l'homéopathie a eu droit de cité, ainsi que l'acupuncture, l'ostéopathie, etc. Même les rebouteux pouvaient compter sur une clientèle qui se refilait les adresses de bouche à oreille.
S'est ainsi constituée toute une idéologie hostile à une approche plus rationnelle, expérimentale de la médecine. Aujourd'hui, on retrouve cette idéologie dans la méfiance contre les vaccins. On a eu l'épisode de l'aluminium, on a aujourd'hui celui de l'ARN messager. Et si l'on vous prescrit des médicaments allopathiques., c'est, bien entendu, pour arrondir les dividendes des actionnaires des groupes pharmaceutiques, et parce que le médecin prescripteur a été soudoyé par un voyage tous frais payés. Big pharma, voilà l'ennemi !
Au dix-huitième siècle, l'idéologie naturiste était donc réactionnaire. Elle pouvait très bien s'accommoder d'un voisinage dangereux avec l'eugénisme, avec les théories les plus fumeuses qui ont débouché plus tard sur le nazisme. Il fallait renforcer la race, l'épurer. On sait ce que ça a donné.
Il ne faut pas tout mélanger.
On peut être prudent sur les traitements proposés par la médecine moderne, attentif aux mécanismes naturels, ... et être vacciné. C'est une question de bénéfice / risque.
Le danger dans une approche scientifique et intellectuelle quelle qu'elle soit, c'est la certitude de détenir un savoir et d'avoir raison. La science se construit sur la remise en question permanente des découvertes précédentes.
"...c'est la certitude de détenir un savoir et d'avoir raison" ...palsambleu… mais c'est @phile ! 😁… 🤭😉
Le problème avec la science c'est que ce qui n'est pas prouvé a vite tendance à tomber dans la catégorie "hérésie".
"Témoin" du Big-Bang, dire que l'Homme et en général une VIE allait exister sur une planète aurait été de l'hérésie — d'autant que Dieu n'existait pas encore, donc ni l'hérésie, ni la science, ni le "Témoin"
🧐🤨🤔 😖.
... j'me comprends… en fait je ne sais plus trop. 🤯