D'abord, enlever le haut... et puis, plus ou moins timidement, le bas. Pour le plaisir de redécouvrir son corps vibrant sous les rayons du soleil, le souffle du vent ou la caresse de l’eau. Combien sontelles, celles qui savourent discrètement la joie de la nudité ? Difficile à dire, tant les adeptes du néonaturisme sont loin de se résumer au nombre d’adhérents des associations spécialisées, qui en revendiquent 2 millions. Certes, l’opposition entre « culs nus » et « textiles » persiste sur les lieux dédiés au nudisme. Mais puisqu’il est d’abord question de liberté, la joie de se découvrir intégralement échappe largement aux statistiques. Ce besoin nouveau et urgent de retrouver son corps s’explique aisément : la crise sanitaire est passée par là, laissant le souvenir presque physique des confinements et des masques couvrant le visage. La prise de conscience de l’urgence climatique et de la manière dont nous vivons coupés de la nature a aussi changé la donne, tout comme le mouvement #MeToo, qui célèbre la fin du déni du corps féminin dans le combat pour l’égalité, lançant ce que la philosophe Camille Froidevaux-Metterie, auteure d’« Un corps à soi » (éd. Seuil) appelle « le tournant corporel du féminisme ». Désormais, la mode et la pop culture mettent en avant le corps des femmes comme vecteur d’émancipation et symbole d’empowerment. Les Kardashian, Emily Ratajkowski et autres influenceuses décomplexent les rondeurs féminines à longueur de posts dénudés sur Instagram, et Rihanna, a paradé tout l’hiver en nuisette, enceinte jusqu’au cou. Dans ELLE, c’est l’écrivaine et critique de mode Sophie Fontanel qui a suscité une vague d’émotion en posant nue voilà quelques mois, à 59 ans. Son dernier livre, « Capitale de la douceur » (éd. Seghers), raconte son expérience dans le village naturiste d’Héliopolis, sur l’île du Levant, au large de Hyères. Elle rappelle la toute première idée des fondateurs des lieux qui dès 1920 « pensaient qu’être nu dans la nature, au soleil, guérissait de tout ». Elle raconte comment cette expérience bouleversante, une fois passée la crainte, voire l’effroi, de se retrouver en posture si vulnérable, lui a permis de se réconcilier avec son corps, mais aussi avec son traumatisme passé. On voit comme cet élan spontané vers le corps naturel va dans le sens de Bernard Andrieu, philosophe spécialiste du sujet et auteur d’ « Histoire du sport-santé. Du naturisme à la médecine du bien-être » (éd. L’Harmattan), qui professe que « le corps est la nouvelle religion du XXIe siècle ». Sept femmes nous racontent comment elles sont devenues accros à la nudité intégrale.

« On respire par tous les pores de la peau » Eva, 39 ans 

          

« Mon mec est allemand, et j’ai parfois l’impression qu’il a grandi à poil dans une forêt ! En Allemagne, le naturisme est totalement décomplexé. Il est même considéré comme un bienfait pour la santé depuis le siècle dernier, c’est quasiment une philosophie de vie. Les corps nus vieux, jeunes, malades ou handicapés se mêlent avec un naturel déconcertant. J’ai découvert ce monde parallèle il y a des années, la première fois qu’il m’a emmené dans un camping nudiste dans la forêt Noire. Je n’en menais pas large. J’étais terrorisée, littéralement coincée, accrochée à mon paréo… et il se foutait de moi ! En quelques jours, j’ai compris que la nudité pouvait être complètement désacralisée, naturelle et saine, en harmonie avec la nature. La première fois que j’ai laissé tomber mon paréo, je me suis sentie entièrement acceptée, telle que j’étais, sans que cela ne pose plus aucun problème à personne. Beaucoup plus vivante aussi, plus reliée au monde, parce qu’on respire la forêt par tous les pores de la peau. De quoi convertir à l’écologie radicale les plus récalcitrants ! Depuis, nous allons là-bas chaque été, mes enfants adorent, ils deviennent de vrais sauvageons. On verra s’ils seront toujours partants à l’adolescence… En attendant, je suis heureuse de leur offrir cette liberté que je n’ai pas connue petite, je suis certaine que chaque été ils font des réserves de confiance en eux pour toute la vie. »

« C'est presque thérapeutique » Hélène, 42 ans               

« Ma mère est seins nus sur la plage depuis toujours. Petites, avec mes deux sœurs, on en était très gênées. Ados, on avait carrément honte ! Aujourd’hui elle a 76 ans, elle est encore topless. Mais je suis arrivée à l’âge où j’ai envie de lui dire merci. Longtemps, elle nous a expliqué que la honte, c’était d’avoir la marque blanche du soutien-gorge. Elle disait que nos corps étaient naturels, beaux, qu’on pouvait en être fières, et je crois que, à force, ça m’est entré dans le crâne. Sa décontraction a fini par me convaincre, et il ne me vient plus à l’idée de porter un haut de maillot – sauf sur une plage inconnue, pour ne pas gêner les autres. Avec mes sœurs, on va souvent se baigner carrément à poil : c’est une vraie joie innocente, on a l’impression de se retrouver comme avant, petites, libres et joyeuses. C’est presque thérapeutique, je le conseille à tout le monde ! »

« Quand tout le monde est nu, on est égaux » Caroline, 27 ans       

« J’ai passé toutes les vacances de mon enfance dans un camp naturiste connu des Landes. J’en garde le sentiment d’une liberté merveilleuse, au point d’y retourner aujourd’hui dès que je peux, en embarquant le plus de monde possible ! Rien à voir avec l’idée qu’on se fait de ce genre d’endroit à la lecture de Houellebecq, en imaginant des vieux libidineux qui reluquent les fesses des filles et des gens à poil ridicules à la supérette. C’est même le contraire : sur ces plages réservées, je n’ai jamais senti de regards salissants comme j’ai pu l’expérimenter encore l’an dernier sur la côte d’Azur, alors que j’étais en maillot une pièce ! Quand tout le monde est nu, on devient égaux et on sort de l’hypersexualisation. Nos corps ne sont pas parfaits, on est tous dans une vulnérabilité qui rend humble et nous recadre sur l’essentiel. Et puis la nudité reste sur la plage ou sur la terrasse des bungalows, on la pratique pour soi, il n’y a rien d’exhibitionniste làdedans. J’en parle depuis toujours, mais depuis deux ou trois ans je sens que cette idée évolue incroyablement. J’ai même réussi à convaincre mes amis les plus réticents à venir tenter l’aventure cet été. Je les ai prévenus : attention, goûter cette liberté qui n’existe nulle part ailleurs dans la société rend accro ! »

« Arrêtons d'en faire un drame ! » Inès, 34 ans              

« Je suis devenue naturiste un soir, dans une piscine parisienne, lors d’une soirée réservée aux “tout-nus”. On s’était lancé le défi avec ma bande d’amis d’enfance, trois filles et deux garçons. Chiche ! Je m’en étais fait une montagne, j’étais super nerveuse avant. Cela a été d’une simplicité biblique, c’est le cas de le dire. En un quart d’heure, ce n’était plus un sujet. On a tous des bras et des jambes, des seins et des sexes, il faudrait peut-être arrêter d’en faire un drame. Depuis, on part ensemble chaque été dans un camp naturiste simple et discret du département de l’Aube. Je m’étonne que ce sujet suscite autant de débats passionnés. On vit dans un monde de plus en plus exhibitionniste avec Instagram, Tinder… où les gens se photographient dans des postures souvent très gênantes, voir perverses. La pub, la téléréalité ont complètement intégré les codes du porno, et la nudité s’étale de manière souvent obscène. Dans le camping où nous allons, elle est sincère, sans ambiguïté, dédramatisée. Outre le plaisir de sentir le sable sur sa peau, son corps tout entier et non plus morcelé par les vêtements, ces moments précieux font oublier la violence de cette société des apparences et de la performance obligatoire. Toute nue au milieu des autres, je vis et je respire à 300 %. »

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