Un cri, un long cri venu de loin, un cri issu d’un passé que Michelle-Marie Bodin-Bougelot a tant voulu enfouir. « Non ! Non ! Ne fermez pas cette porte ! J’ai horreur des portes fermées. Chez moi, les portes restent toujours ouvertes ! » Même celle du cabinet de toilette, nous voilà prévenus. « Là-bas, lance-t-elle sous le coup de la colère, tout était fermé à clé. » Là-bas, au Bon Pasteur d’Orléans, ce lieu de souffrance où sa mère adoptive l’a placée un jour de 1959, à l’âge de 13 ans. « Maman trouvait que j’étais trop sauvage. A l’époque, les gens chuchotaient que cet endroit, c’était pour les traînées. Mais j’avais rien fait, moi… »

Depuis la mort de son mari, Michelle-Marie, un petit bout de femme de 1,48 mètre au tempérament de Ma Dalton, vit dans la maison familiale de Sainte-Thorette, dans le Berry. Au rez-de-chaussée de cette ancienne ferme rénovée, plusieurs portes ont été enlevées, les autres sont bloquées par une pierre. Sur la longue table en bois de la salle à manger, l’ex-professeure de dessin a posé un classeur rouge où il est inscrit « dossier interdit ». Le dossier de « là-bas », comme elle dit toujours. Des photos, des souvenirs d’adolescente jetés sur du papier quadrillé après sa sortie du Bon Pasteur, fin 1960. Michelle-Marie l’a caché au fond d’un placard pendant cinquante ans, mais désormais il lui fait face.

Directrice de casting, Fabienne Bichet a longtemps travaillé à Canal+ où elle sélectionnait entre autres les « miss météo ». Cette femme de 65 ans tout en douceur parle vite et sans arrêt, peut-être parce qu’elle a dû se taire trop longtemps.

Elle aussi a vécu du « brutal » quand, après une enfance chaotique, sa mère l’a confiée aux sœurs du Bon Pasteur de Toulouse. Elle avait 14 ans. Contrairement à Michelle-Marie Bodin-Bougelot, la phobie de l’enfermement ne la tourmente pas, mais, dit-elle, en souriant tristement, « il y a quelque chose dont je ne parviens pas à me débarrasser. Je me cogne contre les coins de table et je coince mes vêtements dans les poignées de porte ».

Victimes de bastonnade

Mal « latéralisée » – c’est le terme médical –, Fabienne Bichet s’oriente avec fragilité, sombre héritage de ses années toulousaines. Elle décrit la « bastonnade », cette punition collective infligée à l’ensemble d’un dortoir quand personne ne se dénonçait après une bêtise. « Nous devions remonter notre chemise de nuit, cul nu, et nous allonger sur notre lit. Une sœur nous tenait les bras, une autre frappait avec une baguette et une troisième surveillait la pièce. Quinze coups. Au premier, tu mords l’oreiller, mais après… Certaines, je m’en souviens, se pissaient dessus. » Face à cette violence avilissante, la jeune Fabienne développa une technique pour parer la douleur : « J’ai appris à dissocier ma tête de mon corps, mais je n’ai jamais plus réussi à rassembler les deux. C’est pourquoi j’ai encore des difficultés à me diriger dans l’espace. »

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