26 avril 2024

Tout nu, tout branché

La France est la championne du monde du naturisme. Un univers où aux adeptes purs et durs se mêlent désormais des touristes en quête d’un nouveau bien-être . Ce matin-là, dans le ciel du camping naturiste des Hespérides, un bruit de pales d’hélicoptère fend le silence. L’excitation monte d’un coup. En tenues d’Eve et d’Adam, une vingtaine de sexagénaires se pressent autour de la piscine dans un joyeux chahut, regard tourné vers l’azur. A bord de l’appareil, un photographe doit immortaliser la scène pour illustrer la nouvelle plaquette du camping. «Attention! Le petit oiseau va sortir…», lance Michel, ancien chef d’atelier dans la carrosserie automobile qui a tombé le bleu dans les années 1980

L’hélico est à la verticale. Les bras se lèvent, les seins se redressent. Des effluves de crème solaire se mélangent aux odeurs de grillades. Bientôt midi. On dirait le Sud. Sauf qu’on est à Etrechy (Essonne), à trente minutes en voiture de la porte d’Orléans.
Au bout d’un chemin de terre, à 300 mètres de la nationale 20 et des panneaux publicitaires pour magasins discount, se cache l’un des six centres naturistes de la banlieue parisienne. 75 emplacements pour caravanes et bungalows cernés par une palissade plus haute qu’un basketteur de la NBA.
Le camping est ouvert d’avril à novembre et, dès les beaux jours, il affiche complet. «Aujourd’hui, on se retrouve entre vieux parce que les gens travaillent, mais dès demain, comme chaque fin de semaine, on va refuser du monde», explique Hubert, 74 ans, retraité d’Air France. Au cas où l’on en douterait, une affiche placardée près des douches atteste la contagion de l’effeuillage dans les couches les plus profondes de notre société. Le week-end suivant, le camping des Hespérides accueille l’assemblée des motards naturistes, «le seul rassemblement moto avec piscine et sauna!» est-il précisé. Le casque et le reste sont en option.
Menace croate

L’été, les trois sites naturistes les plus peuplés d’Europe se trouvent en France: Cap-d’Agde, au sud de Montpellier, qui accueille jusqu’à 40 000 touristes, Montalivet et Grayan-l’Hôpital, sur la côte atlantique, environ 10 000 résidents chacun. Ce leadership s’explique par une lecture relativement clémente de l’article 222-32 du Code pénal, qui punit «l’exhibition sexuelle imposée à autrui» d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende. En réalité, de nombreuses dérogations, sous forme d’arrêtés municipaux et préfectoraux, sont accordées. Ailleurs, sous le soleil des pays à forte tradition orthodoxe ou catholique, les autorités sont moins clémentes. Proscrit en Grèce, marginal en Espagne, le nudisme est «toléré» en Italie sur une petite vingtaine de plages, mais les procès pour attentat à la pudeur sont nombreux. Finalement, la menace pour la France vient de Croatie – devenue la première destination des naturistes allemands – où le touriste, habillé ou non, est roi.
 
Vivre nu, toute l’année, de Maubeuge à Perpignan, c’est donc possible. C’est même limite tendance. D’ailleurs, la France est championne du monde. Pas de football, non. De naturisme. Avec ses 160 clubs et associations, ses villages à la mer, à la montagne et au fin fond du Limousin, le pays de la haute couture est aussi le paradis du nu intégral. Chaque année, plus de 2 millions de vacanciers européens viennent se déshabiller chez nous.

Un honneur. Et une manne. En dépit de son image folklorique, le tourisme naturiste représente plus de 300 millions de chiffre d’affaires et environ 4 000 emplois directs ou indirects. Pour des raisons culturelles ou religieuses, nos rivaux méditerranéens sont largués.

«Tout laisse à penser que l’avenir est à nous, confirme Paul Réthoré, vice-président de la Fédération française de naturisme (FFN). Par définition, les sites naturistes sont situés dans des endroits isolés, préservés de l’urbanisation à tout crin. Nous sommes en plein dans les aspirations du moment.»
On connaissait l’adage de Coluche: «Chassez le naturiste, il revient au bungalow.» Cette fois, il en ressort. Et c’est pour de bon. Signe des temps: le film déjà culte Camping – près de 6 millions de spectateurs – en fait même sa guest star. Une équipe de volleyeurs naturistes ridiculise, le temps d’un match, le camp des «textiles» (surnom générique donné à la population habillée). Dans la salle, on ne rit pas de la nudité des premiers mais de l’embarras des seconds. Les temps changent.
Corinne, 38 ans, deux enfants, assistante de direction au siège d’un groupe pharmaceutique situé dans une tour de la Défense, n’a rien d’une marginale. Il y a dix ans, avec son compagnon, elle a acheté, pour moins de 2 000 euros, un minuscule bungalow dans un centre naturiste en lisière d’une forêt du Val-d’Oise. Chaque année, la location de l’emplacement lui coûte 600 euros. Le reste est tout bénéfice. «Au début, c’est surtout l’idée d’avoir un point de chute, pour pas cher, afin d’y passer des week-ends qui m’a attirée, raconte-t-elle. Jusque-là, il m’était arrivé une ou deux fois de me foutre à poil sur une plage déserte, mais rien de plus».
Ce qui lui plaît, dès lors, ce n’est pas de se balader toute nue, «mais plutôt ce que cela implique». A l’en croire, quand elle franchit le portail du camp, le vendredi soir, son bien-être n’a rien à voir avec celui du propriétaire d’une banale résidence secondaire. «En descendant de la voiture, je suis encore une boule de stress. Et là, il suffit que je me déshabille pour que ça passe. Je n’ai pas l’impression d’ôter mes vêtements. J’ai l’impression de changer de peau.»

Début de «boboïsation»
La vie à front renversé. Où l’on ne craint pas le regard des autres. C’est là tout le paradoxe pour nous autres, pauvres «textiles», qui ne voyons dans le naturisme qu’un étalage de sexe, une exhibition de chair plus ou moins affriolante, bref, un insatiable objet de curiosité.

«Moi, dit Corinne, c’est à longueur de semaine, dans les couloirs de mon entreprise, que j’ai l’impression d’être scrutée, jugée, jaugée…» Nu, tout le monde est égal. Mais il ne viendrait pas à l’esprit de la jeune femme de se balader dans le plus simple appareil devant les fenêtres de son appartement dans le XIVe arrondissement de Paris. «Les vis-à-vis sont très proches et je n’ai pas envie qu’ils me voient.» Naturiste et pudique, ça existe.


Tout existe. C’est le credo de Jean-Guy Amat, propriétaire d’un vaste camping, à Sérignan-Plage (Hérault), où les vacanciers en short cohabitent avec les vacanciers sans short. Deux entrées différentes, une rangée de canisses pour séparer les 1 000 emplacements «textiles» des 400 autres, et une plage pour tout le monde.

La santé d’abord
A la fin du XIXe siècle, le naturisme naît d’abord sous l’influence des médecins. L’association de «bien-être naturel» fondée en 1893, à Paris, postule que «le soleil et le grand air chassent les microbes». Chantres de la gymnastique suédoise et de l’alimentation diététique, les naturistes déclarent la guerre à l’alcool et au tabac. La France est le seul pays à parer le nudisme de ses oripeaux bibliques qui lui valent cette appellation de «naturisme», inconnue à l’étranger (les Anglo-Saxons parlent exclusivement de nudism). Avec la montée de la civilisation des loisirs, le mouvement glisse de l’hygiénisme à l’hédonisme. Sentiment de liberté contre l’aliénation de la société vestimentaire: les naturistes réclament le droit à l’indifférence. C’est chose faite. La Fédération française de naturisme (FFN) est reconnue comme association culturelle et éducative.
«Avant, le naturisme était fondé sur des notions très idéologiques, presque militantes, souligne le maître des lieux. Aujourd’hui, on assiste à l’éclosion d’une pratique “à la carte”. Les gens zappent d’un monde à l’autre. Ils prennent une semaine de vacances dans l’arrière-pays pour apprendre à fabriquer des confitures, puis ils viennent ici pour se faire bronzer les fesses.»
Sacha, 22 ans, naturiste, fils de naturiste et animateur dans la partie «non textile» du camping, parle d’un début de «boboïsation» du secteur.
«Désormais, le naturiste est moins un ascète végétarien que Mr Tout-le-Monde avide de connaître une expérience proche de la nature sans rien sacrifier à son confort.» Longtemps proscrite, l’électricité alimente aujourd’hui l’immense majorité des centres de vacances. Au camping de Sérignan-Plage, le très luxueux espace de balnéothérapie en plein air ne désemplit pas.

La matinée y est réservée exclusivement aux naturistes. De fait, en ce matin brûlant de juin, les 200 curistes posés sur les matelas autour des bains à bulles et des brumisateurs à l’eau de rose sont nus. Et pourtant, ils sont nombreux à séjourner côté «textile». Joël et Noëlle, un couple de graphistes lillois venu passer deux semaines de vacances sur les bords de la grande bleue, n’éprouvent aucune gêne à franchir le Rubicon. A titre provisoire.


«En définitive, le fait de porter un string est beaucoup plus sexuel que la nudité, dit-elle. Mais je ne me vois pas faire mon marché ou monter à vélo toute nue.» Tout à l’heure, ils repartiront vers la «civilisation de la housse», comme disent les naturistes pour définir le reste de l’humanité. Ils se sentiront apaisés, requinqués.

Moins par les effets des massages à haute pression que par cette atmosphère si particulière qu’ils redécouvrent chaque matin. «Il n’y a pas la même électricité dans l’air, explique Joël. Les gens parlent doucement, ne se bousculent pas pour une place au soleil. On se sent tous un peu à découvert, sans protection, alors on fait davantage attention à son voisin.»

Bref, tout irait bien dans le meilleur des mondes d’avant le péché originel si, jusque-là, nous n’avions pas confondu  par souci d’éviter trop de répétitions, avouons-le – naturisme et nudisme. Or, là, soudain, le temps se gâte. Les naturistes, qui – de l’époque des sarcasmes du Gendarme de Saint-Tropez au temps des fantasmes houellebecquiens – ont survécu à toutes les avanies des quarante dernières années, brandissent l’artillerie lourde.
«Les gens qui fréquentent nos campings car ils sont moins bruyants et nos plages parce qu’ils ne supportent pas la trace du maillot sont des nu-di-stes!» assène Rosita Boulc’h, secrétaire générale de la FFN, les yeux au plafond pour signifier que l’espèce lui semble aussi digne d’intérêt que la grande famille des bigorneaux. Le naturiste, le vrai, est dans le plus simple appareil dans toutes les circonstances, par tous les temps.
«Ça me fait mal quand je vois des pseudo-naturistes mettre un paréo pour un oui, pour un non», gronde-t-elle. A son côté, le vice-président Paul Réthoré modère: «En même temps, le sempiternel reportage télé où l’on voit un type faire ses courses avec la zigounette au ras des salades, ce n’est pas terrible…» Rosita manque s’étouffer: «Si elle est propre, je ne vois pas où est le problème!» Le débat de fond est lancé. Frisée ou feuille de chêne?
article de Henri Haget
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didge
7 juillet 2006 10h42

Pas mal, l’article…

Et on voit tout de suite la différence entre le propriétaire de camping du bord de mer qui dit:
«Avant, le naturisme était fondé sur des notions très idéologiques, presque militantes, souligne le maître des lieux. Aujourd’hui, on assiste à l’éclosion d’une pratique à la carte”. Les gens zappent d’un monde à l’autre. Ils prennent une semaine de vacances dans l’arrière-pays pour apprendre à fabriquer des confitures, puis ils viennent ici pour se faire bronzer les fesses.»

Les touristes sont là, “”pour se faire bronzer les fesses””…

Contraste saisissant avec la première partie de l’article, où est décrit bien mieux les bienfaits du naturisme vrai:
“”Ce qui lui plaît, dès lors, ce n’est pas de se balader toute nue, «mais plutôt ce que cela implique». A l’en croire, quand elle franchit le portail du camp, le vendredi soir, son bien-être n’a rien à voir avec celui du propriétaire d’une banale résidence secondaire. «En descendant de la voiture, je suis encore une boule de stress. Et là, il suffit que je me déshabille pour que ça passe. Je n’ai pas l’impression d’ôter mes vêtements. J’ai l’impression de changer de peau.»””

ALLIGATOR
17 juillet 2006 17h33

L’article est vraiment intéressant.

Je n’ai jamais fait de naturisme mais j’ai de plus en plus envie d’en faire. Seulement, mon épouse est opposée à cela. Elle ne se voit pas nu devant des gens.

Je ne sais pas comment la convaincre.

Cet article me donne quelques éléments .

FABILL
14 août 2006 15h32

Il y aura toujours 3 catégories, les naturistes, les nudistes et le exhibisionnistes

soy
soy
21 août 2006 11h05

L’article décrit bien la diversité au domain du naturisme d’aujourd’hui sans exagérer vers n’importe quel sens.
Les bienfaits du naturisme pour moi s’implique pas du tout à la nudité seul et dès que j’habite permanent dans une zone naturiste, j’ai vraiment le sentiment de vivre à plein.
Mais sans diversité le monde serait monotone, n’est-ce pas ?

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